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au métier. « C’était peu loin du quartier-général ; à mon retour, disait le grand maréchal, je vins vous dire que j’avais trouvé la chose impossible. Sur quoi Votre Majesté, à qui je ne m’adressais qu’en tremblant, me dit avec bonté : – Mais voyons un peu, Monsieur, comment vous y êtes-vous pris ? ce qui est impossible pour vous ne l’est peut-être pas pour moi. – En effet, disait Bertrand, à chacun de mes moyens Votre Majesté disait : Je le crois bien, et en substituait d’autres. Si bien qu’en peu d’instants il me fallut être convaincu ; mais non sans emporter un sentiment profond, et des souvenirs qui m’ont bien servi depuis. »

L’Empereur a passé sa matinée à recueillir encore des renseignements sur les sources du Nil, dans les divers auteurs modernes, Bruce, etc… Je l’ai aidé dans ce travail. À trois heures, il s’est habillé et est sorti. Le temps était assez beau. L’Empereur a demandé la calèche, et s’est enfoncé à pied dans le bois ; nous avons marché jusqu’à la vue du rocher des Signaux. Il m’entretenait de notre position morale et de certaines contrariétés que devaient lui donner quelques circonstances de notre intimité même. La calèche est venue le joindre avec M. et madame de Montholon. L’Empereur se félicitait de l’arrivée de sa voiture, disant qu’il ne se sentait pas capable de regagner sa demeure à pied. Il s’affaiblit visiblement ; sa démarche devient pesante ; il a le pied traînant, ses traits s’altèrent. Sa ressemblance avec Joseph devient frappante, au point qu’il y a peu de jours, allant le joindre au jardin, j’aurais juré que c’était Joseph, jusqu’au moment où je l’ai abordé. D’autres en ont été frappés comme moi, ce qui nous a fait dire que si nous croyions à la prévision ou à la double vue des Anglais, dont j’ai parlé dans un autre endroit, nous devions nous attendre bientôt à quelque chose d’extraordinaire sur l’Empereur ou sur son frère.

Au retour, l’Empereur a considéré un gros panier rempli d’argenterie brisée, qu’on devait envoyer le lendemain à la ville. C’était désormais le complément indispensable de notre subsistance d’un mois, d’après les dernières réductions du gouverneur.

On savait bien que des capitaines de la compagnie avaient offert jusqu’à cent guinées d’une seule assiette. Cette circonstance avait porté l’Empereur à ordonner qu’on limât les écussons, et qu’on brisât les pièces de manière à ce qu’elles ne présentassent aucun vestige qui pût montrer qu’elles lui avaient appartenu. De petits aigles massifs surmontaient tous les couvercles : c’est la seule chose qu’il a voulu qu’on épargnât, et il les a fait mettre de côté. Ces derniers débris étaient l’objet