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y sont autant de bonnes recrues pour la haute aristocratie. Peu importe qu’ils présentent le scandale d’une fortune acquise par les rapines et le brigandage ; peu importe qu’ils influent fortement sur la morale publique, en animant chacun du désir des mêmes richesses poursuivies à tout prix ; les ministres actuels n’y regardent pas de si près ; ce seront autant de votes pour eux, et plus ils seront pourris, plus ils seront faciles à gouverner. Et avec les choses de la sorte, le moyen d’attendre quelque réforme ? Aussi, à la moindre proposition, vous voyez quels cris ! car l’aristocratie anglaise veut bien journellement gagner du terrain en avant ; mais sitôt qu’on propose de la faire rétrograder d’un atome, elle n’y entend plus, et l’explosion est universelle. Si l’on touche aux plus minutieux détails, tout l’édifice va crouler, s’écrie-t-elle. C’est tout simple. Qu’on veuille arracher d’un vorace le morceau qu’il tient à la bouche, il le défendra en héros, etc. »

Une autre fois l’Empereur disait : « Après vingt ans de guerre, après tant de trésors prodigués, tant de secours fournis à la cause commune ; après un triomphe au-dessus de toute espérance, quelle paix pourtant a signée l’Angleterre ! Castlereagh a eu le continent à sa disposition ; quel grand avantage, quelles justes indemnités a-t-il stipulés pour son pays ? il a fait la paix comme s’il eût été vaincu. Le misérable ! je ne l’eusse guère plus maltraité si je fusse demeuré victorieux. Ou bien encore, serait-ce qu’il s’estimait assez heureux de m’avoir renversé ?… Dans ce cas, la haine m’a vengé. Deux forts sentiments ont animé l’Angleterre durent notre lutte : son intérêt national et sa haine contre ma personne. Au moment du triomphe, la violence de l’un lui aurait-il fait oublier l’autre ? elle paierait cher ce moment de passion ! » Et il développait son idée, parcourant les diverses combinaisons qui démontraient les fautes de lord Castlereagh et les nombreux avantages qu’il avait négligés. « Des milliers d’années s’écouleront, disait-il, avant qu’il ne se présente une telle occasion pour le bien-être, la véritable grandeur de l’Angleterre. Est-ce donc de la part de lord Castlereagh ignorance ou corruption ? Ce lord Castlereagh a distribué noblement, à ce qu’il a cru, les dépouilles aux souverains du continent, et n’a rien réservé pour son pays ; mais n’a-t-il pas craint qu’on lui reprochât d’avoir été là bien plutôt leur commis que leur associé ? Il a fait don de territoires immenses : la Russie, la Prusse, l’Autriche ont acquis des millions de population. Où se trouve l’équivalent de l’Angleterre ? elle qui pourtant avait été lame de ces succès, elle qui en avait payé tous