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frappé sur l’épaule. Nous sommes fort enclins, de notre nature, à la familiarité, etc. »

Le gouverneur a renouvelé ses tracasseries au sujet de notre nourriture ; il a recommencé d’ignobles détails sur quelques bouteilles de vin, quelques livres de viande. Il veut bien aller à présent de 8.000 liv. sterl., qui lui sont fixées par le gouvernement, jusqu’à 12.000, qu’il prononce lui-même indispensables ; mais il tient toujours à ce qu’on lui remette le surplus entre les mains, ou il menace de grands retranchements. Il marchande notre existence. L’Empereur, quand on a voulu lui en rendre compte, a répondu qu’on fit ce qu’on voudrait ; mais que sur toute chose on ne lui en parlât pas, qu’on le laissât tranquille.


Conversation confidentielle – Lettres de madame de Maintenon et de madame de Sévigné.


Vendredi 6.

Le temps était presque aussi mauvais que la veille. L’Empereur, après sa toilette, a mené l’un de nous dans sa bibliothèque, où il s’est entretenu confidentiellement et longtemps sur des objets graves qui nous touchent vivement.

« Voilà plus d’un an, disait-il, que nous sommes ici ; et nous en sommes encore comme au premier jour sur certains objets ; j’avoue même qu’ils restent encore dans le vague de mon esprit et que je n’ai rien d’arrêté à cet égard dans ma pensée. Cela me ressemble peu ; mais aussi quel découragement ne doit pas être le mien ! Que de coups la fortune et les hommes ont amassés sur ma tête ! j’en suis atteint de tous côtés et partout. La plaie m’en couvre tous les pores. Il n’est pas jusqu’à vous autres autour de moi, vous, mes fidèles et mes consolateurs, qui n’y soyez pour quelque chose vos jalousies, vos dissentiments m’attristent et me gênent. – Sire, lui ai-je répondu, ce point devrait demeurer inaperçu de Votre Majesté, d’autant plus qu’au fond il est sans réalité pour ce qui la concerne. Notre jalousie n’est plus dès lors que de l’émulation, et tous dissentiments cessent à l’expression de votre moindre désir. Nous ne vivons qu’en vous, nous agirons toujours ainsi qu’il vous plaira. Vous êtes pour nous le Vieux de la Montagne ; aux crimes près, vous n’avez qu’à commander. – Et bien, a dit l’Empereur, je vais m’y mettre sérieusement, et chacun aura sa tâche. » Alors il a dicté quelques notes, a gagné le jardin, où il a fait quelques tours seul, et de là est rentré chez lui.

L’Empereur n’est sorti de sa chambre qu’au moment de dîner. Il est revenu encore sur madame de Maintenon, qui était sa lecture du moment.