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au 10 août, si le roi fût demeuré vainqueur. Ces deux époques, selon lui, étaient les seules qui eussent pu présenter quelques chances désespérées, parce que, lors de Versailles, la nation n’était point encore tout ébranlée, et qu’au 10 août elle était déjà bien fatiguée ; mais les hauts intéressés, remarquait l’Empereur, n’étaient pas de taille pour ces difficiles époques.

L’Empereur a parcouru rapidement la série des fautes commises. « L’ensemble en faisait pitié, concluait-il. Il eût fallu un premier ministre à Louis XVI, et M. Necker en sous-ordre pour les finances. Les premiers ministres eussent dû être inventés surtout pour les derniers règnes de notre monarchie ; et précisément il était devenu dans les principes et l’amour-propre du jour de n’en vouloir point prendre. »

On a beaucoup parlé de la conduite équivoque de plusieurs grands personnages dans ces temps de crise, et l’Empereur a dit : « Nous condamnons Louis XVI ; mais, indépendamment de sa faiblesse, il a été le premier prince attaqué. C’est celui sur lequel les nouveaux principes faisaient leur essai. Son éducation, ses idées innées, le portaient à croire de bonne foi comme lui appartenant tout ce qu’il cherchait à défendre ouvertement ou en secret. Même dans ses manques de foi, il pouvait y avoir une espèce de bonne foi, s’il est permis de parler ainsi. Plus tard, que chacun en sait davantage, une même conduite serait bien plus inexcusable, bien autrement condamnable. Qu’on ajoute que Louis XVI avait tout le monde contre lui, ses proches, ses frères ; le duc d’Orléans le trahissait ; Monsieur se montrait des plus équivoques ; le comte d’Artois le perdait par ses inconsidérations ; et l’on pourra se faire une idée des difficultés sans nombre que la fatalité sembla prendre plaisir à accumuler sur ce prince infortuné. La fatalité des Stuart, dont on a tant parlé, n’a pas été plus malheureuse. »


Sur les gardes du corps ; un déserteur parmi nous.


Mercredi 4.

L’Empereur m’a fait appeler après son déjeuner. Il était étendu sur son canapé, au milieu de plusieurs livres. Sa tête demeurait encore couverte du madras de la nuit ; son visage semblait défait. « Mon cher, m’a-t-il dit, je me sens fatigué. Voilà bien des livres que je parcours, rien ne m’attache, tout m’y déplaît ; je m’ennuie. » Et son œil dirigé sur moi, cet œil si vif d’ordinaire, et terne en ce moment, m’en exprimait bien davantage. « Asseyez-vous là, m’a-t-il dit en montrant une chaise près de lui, chargée de livres, et causons. » Il s’est mis à parler de l’île d’Elbe, de la