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l’esprit et le sel qui lui sont familiers ; toutefois il en était fort contrarié ; sa conversation est devenue forte, il l’a poussée jusqu’à l’humeur, et c’était pour la première fois peut-être que le patient en éprouvait les marques. « Enfin, a-t-il conclu, ce que vous proposiez là à d’autres, Monsieur, après tout, vous l’eussiez accepté vous-même à leur place. – Non, Sire. – Comment non ? Eh bien ! a-t-il ajouté d’une manière réprobative, vous ne seriez pas mon ministre de la police. – Et Votre Majesté aurait raison, a répliqué vivement celui-là, qui s’était ému à son tour ; je ne me sens aucune disposition pour un tel poste. » Un instant avant le dîner, l’Empereur le voyant entrer dans le salon, a dit : « Ah ! voilà notre petit officier de police. Venez, approchez, mon petit officier de police ; » et lui a pincé l’oreille. Bien que des heures se fussent écoulées depuis la conversation vive l’Empereur se la rappelait ; il savait celui qui en avait été l’objet très sensible, et il était visible qu’il voulait en effacer l’impression. Voilà des nuances caractéristiques ; et celles qui ressortent des objets les plus petits sont les plus naturelles, les plus sûres.

Après le dîner la conversation a conduit l’Empereur à parcourir le sujet spécial de sa querelle maritime avec l’Angleterre. « La prétention du blocus sur le papier, disait-il, lui valut mon fameux décret de Berlin. Le conseil britannique, dans sa colère, lance ses arrêts ; il établissait un octroi sur les mers. Riposté aussitôt par les célèbres décrets de Milan, qui dénationalisent tout pavillon qui se soumettrait aux actes anglais ; et c’est alors que la guerre devint, en Angleterre, vraiment personnelle. La rage contre moi saisit tous ceux qui tenaient au commerce. L’Angleterre s’indigna d’une lutte et d’une énergie qu’elle ne connaissait pas. Elle avait toujours trouvé ceux qui m’avaient devancé plus complaisants. »

L’Empereur, plus tard, a développé les mesures par lesquelles il avait forcé les Américains à se battre contre les Anglais ; il avait trouvé le moyen, disait-il, d’attacher leurs intérêts à leurs droits ; car c’est pour les premiers qu’on se bat, disait-il, beaucoup plus que pour les seconds.

Aujourd’hui l’Empereur s’attendait, disait-il, à quelques tentatives prochaines des Anglais sur la souveraineté des mers, à quelque octroi universel, etc. « C’est pour eux, disait-il, un des grands moyens d’acquitter leurs dettes, de sortir de l’abîme où ils se trouvent plongés ; en un mot, de se tirer d’affaire. S’ils ont parmi eux un génie hardi, une tête forte, ils doivent entreprendre quelque chose de la sorte.