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la tente ; il nous y a tous fait appeler. La conversation a conduit à parler des cérémonies du couronnement. Il demandait des renseignements à l’un de nous qui y avait assisté, et qui n’a pu les donner. Il les a demandés à un autre ; mais celui-ci n’y avait pas été. « Où étiez-vous donc alors ? lui a dit l’Empereur. – Sire, à Paris. – Et comment ! vous n’avez pas vu le couronnement ? – Non, Sire. » L’Empereur alors, le regardant de travers et saisissant son oreille, lui a dit : « Vous seriez-vous avisé de faire l’aristocrate à ce point ? – Mais, Sire, mon heure n’était pas venue. – Mais vous avez du moins vu le cortège ? – Ah ! Sire, si ma curiosité l’eût emporté, j’aurais couru du moins à ce qu’il y avait de plus digne, de plus précieux à voir, et je ne dois rien diminuer ici de mon mérite ou de mes torts. J’avais pourtant un billet, j’aimai mieux en faire hommage à la dame anglaise dont je parlais dernièrement à Votre Majesté, laquelle, par parenthèse, y attrapa un rhume dont elle manqua mourir. Moi, je restai tranquillement chez moi. – Ah ! c’est trop fort, dit l’Empereur, le vilain aristocrate ! Comment ! vraiment vous en étiez à ce point ? – Hélas ! Oui, Sire, a repris l’accusé, et pourtant me voici près de vous, et à Sainte-Hélène. » Et l’Empereur, lâchant l’oreille, a souri.

Après déjeuner, il m’est venu un capitaine de l’artillerie anglaise, ayant été six ans à l’Île-de-France. Il devait partir le lendemain pour l’Europe. Il m’a supplié, sous mille formes et mille manières, de lui obtenir le bonheur de voir l’Empereur. Il eût, disait-il, donné tout au monde pour une telle faveur ; sa reconnaissance serait sans bornes, etc. Nous avons causé fort longtemps : l’Empereur faisait son tour en calèche, je n’avais pas été de la course. À sa rentrée, j’ai été assez heureux pour remplir les vœux de l’officier anglais. Il a été reçu plus d’un quart d’heure par l’Empereur ; il en était ivre de satisfaction, n’ignorant pas que cette faveur devenait chaque jour plus rare. Tout l’avait frappé, disait-il, au dernier degré dans Napoléon : ses traits, son affabilité, le son de sa voix, ses expressions, les questions qu’il avait faites ; c’était, me disait-il, un héros, un dieu !

Le temps était délicieux. L’Empereur a continué de se promener dans le jardin, entouré de nous. Il discutait sur le non-succès de la négociation de l’un de nous ; chose que l’Empereur avait jugée des plus simples, et qui s’était trouvée des plus délicates pour le négociateur. Il avait dû proposer un papier à des officiers anglais, pour qu’ils le publiassent en Angleterre.

L’Empereur s’acquittait de sa censure avec sa logique ordinaire, avec