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« L’Europe, disait-il, n’eût bientôt fait de la sorte véritablement qu’un même peuple, et chacun, en voyageant partout, se fût trouvé toujours dans la patrie commune. »

Il eût demandé toutes les rivières navigables pour tous ; la communauté de mers ; que les grandes armées permanentes fussent réduites désormais à la seule garde des souverains, etc.

Enfin c’était une foule d’idées, la plupart nouvelles, les unes des plus simples, d’autres tout à fait sublimes, sur les diverses branches politiques, civiles, législatives ; sur la religion, les arts, le commerce ; elles embrassaient tout.

Il a conclu : « De retour en France, au sein de la patrie, grande, forte, magnifique, tranquille, glorieuse, j’eusse proclamé ses limites immuables ; toute guerre future, purement défensive ; tout agrandissement nouveau, anti-national. J’eusse associé mon fils à l’empire ; ma dictature eût fini, et son règne constitutionnel eût commencé…

« Paris eût été la capitale du monde, et les Français l’envie des nations !…

« Mes loisirs ensuite et mes vieux jours eussent été consacrés, en compagnie de l’impératrice et durant l’apprentissage royal de mon fils, à visiter lentement et en vrai couple campagnard, avec nos propres chevaux, tous les recoins de l’empire, recevant les plaintes, redressant les torts, semant de toutes parts et partout les monuments et les bienfaits !!! Mon cher, voilà encore de mes rêves !!! »

L’Empereur avait beaucoup parlé de l’intérieur de la Russie, de la prospérité de laquelle nous n’avions nul soupçon, disait-il ; il s’était arrêté beaucoup sur Moscou, qui l’avait fort étonné sous tous les rapports, et pouvait supporter sans embarras le parallèle avec toutes les capitales de l’Europe, dont il surpassait le plus grand nombre.

Les clochers dorés de Moscou avaient surtout frappé ses regards, et c’est ce qui le porta, lors de son retour, à faire redorer le dôme des Invalides[1] ; il se proposait d’appliquer cet embellissement à beaucoup d’autres édifices de Paris.


Sur le couronnement, etc. – Décrets de Berlin et de Milan – Grande cause de la haine des Anglais.


Dimanche 25.

Le temps s’est remis tout à fait au beau. L’Empereur a déjeuné sous

  1. Depuis la publication du Mémorial, on m’a fait observer qu’il y avait ici anachronisme ; la dorure du dôme des invalides ayant été commencée en effet avant la campagne de Russie. Ce seront les minarets du Caire, et non les clochers de Moscou qui en auront donné l’idée à Napoléon ; et c’est sans doute ce qu’il aura voulu dire ; mais cette méprise de sa part, dans une conversation courante et sans but spécial, est facile à comprendre ; il en arrive de pareilles à tout le monde.