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une certaine scène offre une situation si décisive, si complètement indécente, que, pour mon propre compte, je n’hésite pas à dire que, si la pièce eût été faite de mon temps, je n’en aurais pas permis la représentation. »


Violent accès d’indignation de ma part qui amuse fort l’Empereur.


Mardi 20.

Sur les quatre heures, j’ai été joindre l’Empereur, par ses ordres, dans la salle de billard. Le temps était toujours aussi affreux ; il ne lui avait pas permis, disait-il, de mettre le pied dehors, et pourtant il s’était vu chassé de la chambre et du salon par la fumée. Il m’a trouvé, disait-il, la figure toute renversée : c’était de l’indignation la plus vive, et il a voulu en connaître la cause.

« Il y a deux ou trois ans, ai-je dit, qu’un commis au bureau de la guerre, très brave homme pour ce que j’en connais, venait chez moi donner des leçons d’écriture et de latin à mon fils. Il avait une fille dont il comptait faire une gouvernante, et nous priait de la recommander, si nous en trouvions l’occasion. Madame de Las Cases se la fit amener, elle était charmante, et de l’ensemble le plus séduisant. À compter de cet instant, madame de Las Cases, l’invitait parfois chez elle, cherchant à lui faire faire quelques connaissances dans le monde qui pussent lui être utiles. Or, voilà que cette jeune personne, notre connaissance, notre amie, notre obligée, se trouve être précisément aujourd’hui la femme d’un des commissaires des puissances près de Votre Majesté, arrivé dans l’île il y a près d’un mois.

« Que Votre Majesté juge de mon étonnement et de toute ma joie à cette précieuse bizarrerie du hasard ! Je vais donc, me disais-je, en dépit de tant d’obstacles, avoir des nouvelles positives, détaillées, secrètes même de tout ce qui m’intéresse. J’ai vu passer huit ou dix jours de silence sans inquiétude, même pas sans quelque contentement. Car, pensais-je, plus on met de circonspection, plus on doit avoir à me dire. Enfin, il y a trois ou quatre jours qu’entraîné par mon impatience, j’ai dépêché mon domestique vers la nouvelle arrivée ; je l’avais bien stylé, et son titre d’habitant de l’île lui facilitait l’accès, et sans nul inconvénient. Il est revenu me disant que cette dame avait répondu qu’elle ne savait ce dont on voulait lui parler. À toute rigueur, je pouvais croire encore que c’était un excès de prudence, et qu’elle n’avait pas voulu s’en fier à un inconnu. Mais voilà qu’aujourd’hui je reçois du gouverneur l’avertissement de ne chercher à lier aucun rapport secret dans l’île, que je dois savoir à quoi je m’exposerais, que