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sance que je lui eusse portée d’ailleurs, je ne pouvais, après tout, trafiquer des intérêts de l’empire pour l’acquit de mes propres sentiments ; et puis j’étais trop fier pour sembler avoir acheté ses complaisances. À peine eut-il le pied sur le sol italien, que les intrigants, les brouillons, les ennemis de la France profitèrent de ses dispositions pour s’en saisir, et dès cet instant tout fut hostile de sa part. Ce n’était plus le doux, le paisible Chiaramonti, ce bon évêque d’Imola, qui s’était proclamé de si bonne heure digne des lumières de son siècle. Sa signature n’était plus apposée qu’à la suite d’actes tenant bien plus des Grégoire et des Boniface que de lui. Rome devint le foyer de tous les complots tramés contre nous. J’essayai vainement de le ramener par la raison, il ne m’était plus possible d’arriver jusqu’à ses sentiments. Les torts devinrent si graves, les insultes si patentes, qu’il me fallut bien agir à mon tour. Je me saisis donc de ses forteresses, je m’emparai de quelques provinces, je finis même par occuper Rome, tout en lui déclarant et en observant strictement qu’il demeurait sacré pour moi dans ses attributions spirituelles, ce qui était loin de faire son compte. Cependant il se présenta une crise, on crut que la fortune m’abandonnait à Essling ; et aussitôt on fut prêt à Rome pour soulever la population de cette grande capitale. L’officier qui y commandait ne crut pouvoir échapper au danger qu’en se défaisant du pape qu’il mit en route pour la France. Un tel évènement s’était opéré sans ordres, et même il me contrariait fort. J’expédiai donc sur-le-champ pour qu’on fit demeurer le pape où on le rencontrerait, et on l’établit à Savone, où on l’entoura de soins et d’égards ; car je voulais bien me faire craindre, mais non le maltraiter ; le soumettre, mais non l’avilir : j’avais bien d’autres vues ! Ce déplacement ne fit qu’accroître le ressentiment et les intrigues. Jusque-là, la querelle n’avait été que temporelle ; les meneurs du pape, dans l’espoir de relever leurs affaires, la compliquèrent de tout le mélange du spirituel. Alors il me fallut le combattre aussi sur ce point : j’eus mon conseil de conscience, mes conciles, et j’investis mes cours impériales de l’appel comme d’abus ; car mes soldats ne pouvaient plus rien à tout ceci ; il me fallait bien combattre le pape avec ses propres armes. À ses érudits, à ses ergoteurs, à ses légistes, à ses scribes, je devais opposer les miens.

« Il y eut une trame anglaise pour l’enlever de Savone ; elle me servait. Je le fis transporter à Fontainebleau ; mais là devait être le terme de ses misères et la régénération de sa splendeur. Toutes mes grandes