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alors tout à fait de sa part de l’admiration et de l’enthousiasme ; il ne pouvait tarir sur son compte. Il est très vrai, ainsi qu’on le trouve dans quelques pièces du temps, qu’il instruisit les comités de Paris qu’il avait avec lui un jeune homme auquel on devait une véritable attention, parce que, quelque côté qu’il adoptât, il était sûrement destiné à mettre un grand poids dans la balance. Dugommier, envoyé à l’armée des Pyrénées-Orientales, voulut avoir avec lui le jeune commandant d’artillerie ; mais il ne put l’obtenir ; toutefois il en parlait sans cesse, et depuis, quand cette même armée, après la paix avec l’Espagne, fut envoyée pour renfort à celle d’Italie, qui reçut bientôt après Napoléon pour général en chef, celui-ci se trouva arriver au milieu d’officiers qui, d’après tout ce qu’ils avaient entendu dire à Dugommier, n’avaient plus assez d’yeux pour le considérer.

Quant à Napoléon, son succès de Toulon ne l’étonna pas trop ; il en jouit, disait-il, avec une vive satisfaction, sans s’émerveiller. Il en fut de même l’année suivante à Saorgio, où ses opérations furent admirables : il y accomplit en peu de jours ce qu’on tentait vainement depuis deux ans. « Vendémiaire et même Montenotte, disait l’Empereur, ne me portèrent pas encore à me croire un homme supérieur ; ce n’est qu’après Lodi qu’il me vint dans l’idée que je pourrais bien devenir après tout un acteur décisif sur notre scène politique. Alors naquit, continuait-il, la première étincelle de la haute ambition. » Toutefois il se rappelait qu’après vendémiaire, commandant l’armée de l’intérieur, il donna dès ce temps-là un plan de campagne qui se terminait par la pacification sur la crête du Simmering, ce qu’il exécuta peu de temps après lui-même à Léoben. Cette pièce pourrait se trouver peut-être encore dans les archives des bureaux.

On sait quelle était la férocité du temps ; elle s’était encore accrue sous les murs de Toulon, par l’agglomération de plus de deux cents députés des associations populaires voisines qui y étaient accourus, et poussaient aux mesures les plus atroces. Ce sont eux qu’il faut accuser des excès sanguinaires dont tous les militaires gémirent alors. Quand Napoléon fut devenu un grand personnage, la calomnie essaya d’en diriger l’odieux sur sa personne : « Ce serait se dégrader que de chercher à y répondre, » disait l’Empereur. Eh bien, au contraire, l’ascendant que ses services lui avaient acquis dans l’armée, ainsi que dans le port et dans l’arsenal de Toulon, lui servirent, à quelque temps de là, à sauver des infortunés émigrés du nombre desquels était la famille Chabrillant, émigrés que la tempête ou les chances de la guerre avaient jetés sur la plage française ;