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voleur, celui dont je viens de raconter l’histoire, mais ce n’était au vrai qu’un cuisinier de Kléber.

L’Empereur, plus gai que de coutume, a terminé brusquement la conversation en se tournant vers madame Bertrand : « Eh bien ! Madame, quand serez-vous à votre logement des Tuileries ? lui a-t-il demandé en riant. Quand donnerez-vous vos beaux dîners d’ambassadeurs ? Mais vous serez obligée, du moins assure-t-on, de changer vos ameublements, vous les trouverez passés. » Alors on en est venu tout naturellement au grand luxe dont nous avons été témoins sous l’Empereur.


Avis paternel, etc. – Conversation remarquable – Cagliostro ; Mesmer ; Gall ; Lavater, etc. – L’organisation cranologique de Napoléon une vraie merveille selon Gall.


Lundi 22.

L’Empereur est entré dans ma chambre sur les dix heures, et m’a pris pour marcher avec lui. Au retour, nous avons tous déjeuné dehors. Le temps était magnifique, la chaleur forte, mais bienfaisante. L’Empereur a demandé sa calèche ; deux de nous étaient avec lui ; le troisième, à cheval, suivait à côté ; le grand maréchal n’avait pu venir. L’Empereur est revenu sur quelques bouderies qui avaient eu lieu il y avait quelques jours. Il a analysé notre position, nos besoins : « Vous êtes destinés, nous disait-il, en rentrant dans le grand monde un jour, à vous y trouver frères à cause de moi. Ma mémoire vous le commandera. Soyez-le donc dès aujourd’hui ! » Il peignait alors le bien que nous pourrions nous créer, les peines que nous pourrions tromper, etc., etc. C’était tout à la fois une leçon de famille, de morale, de sentiment et de conduite.

Vers les cinq heures, l’Empereur est entré dans ma chambre, où je travaillais avec mon fils le chapitre d’Arcole. Il avait quelque chose à me dire. Je l’ai suivi dans le jardin, où par la suite il est revenu longuement sur sa conversation de la calèche…

Le dîner se passe à présent dans l’ancien cabinet topographique, contigu au cabinet de l’Empereur et à l’ancien logement du ménage Montholon dont on a fait une bibliothèque assez propre, à l’aide des livres et de quelques boiseries venues dernièrement d’Angleterre.

Les traces de l’incendie dans le salon se réparant lentement, nous sommes contraints de demeurer à table, dans notre nouvelle salle à manger, jusqu’à ce que l’Empereur se retire. C’est, du reste, au grand profit de la conversation.

L’Empereur aujourd’hui était fort causant. On parlait de rêves, de pressentiments, de prévisions, ce que les Anglais appellent double sight