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publie-t-on rien contre moi aujourd’hui à ce sujet ? Où donc sont les grands griefs qu’on me reproche ? C’est qu’en effet il ne se trouve rien.

« Je le répète, les Français, à mon époque, ont été les plus libres de toute l’Europe, tous les pays qu’on a séparés de nous ont regretté les lois avec lesquelles je les ai gouvernés : c’est là un hommage rendu à leur supériorité.


Sur l’Égypte – Saint-Jean-d’Acre – Le désert – Anecdotes, etc..


Dimanche 21.

Vers les trois heures, l’Empereur a demandé sa calèche, m’a fait appeler, et nous avons marché ensemble jusqu’au fond du bois, où il avait ordonné à la calèche de venir le joindre. J’avais à lui communiquer de petits détails qui lui étaient personnels… . . . . . . . . .

Dans le cours de la promenade nous avons aperçu des bâtiments qui arrivaient.

Au dîner, l’Empereur s’est trouvé fort causant. Il venait de travailler à sa campagne d’Égypte, qu’il avait laissée quelque temps, et qu’il nous avait dit devoir être aussi intéressante qu’un épisode de roman. Au sujet de sa pointe sur Saint-Jean-d’Acre, il disait : « C’était pourtant bien audacieux que d’avoir osé se placer ainsi au milieu de la Syrie avec seulement douze mille hommes. J’étais, continuait-il, à cinq cents lieues de Desaix, qui formait l’autre extrémité de mon armée. Sidney Smith a raconté que j’avais perdu dix-huit mille hommes devant Saint-Jean-d’Acre ; or, mon armée n’était que de douze mille hommes.

« Si j’avais été maître de la mer, j’eusse été maître de l’Orient ; et la chose était si possible, que cela n’a tenu qu’à la stupidité ou à la mauvaise conduite de quelques marins.

« Volney, voyageant en Égypte avant la révolution, avait écrit qu’on ne pourrait occuper ce pays sans trois grandes guerres : contre l’Angleterre, le Grand Seigneur, et les habitants. La dernière surtout lui paraissait difficile et terrible. Il s’est trompé tout à fait à l’égard de celle-ci, car elle n’a été rien pour nous. Nous étions même venus à bout d’avoir, en peu de temps, les habitants pour amis, et d’avoir mêlé leur cause à la nôtre.

« Une poignée de Français avait donc suffi pour conquérir ce beau pays, qu’ils n’eussent jamais dû perdre ! Nous avions vraiment accompli des prodiges de guerre et de politique ! Notre affaire n’avait rien de commun avec les anciennes croisades : les croisés étaient innombrables et mus par le fanatisme ; mon armée, au contraire, était fort petite, et les soldats si peu passionnés pour leur entreprise, qu’ils