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visité certaines prisons, et je m’étais permis de rire de l’espèce de luxe qu’elles présentaient ; mais ici c’était bien autre chose, et je me sentais indigné de l’excès contraire. Il n’est pas de fautes, on pourrait même dire de crimes, qui ne se trouvent déjà assez punis par un tel séjour ; et en sortant, il ne doit certainement plus demeurer, en toute justice, que peu ou point à expier, et pourtant ce n’est là encore que la demeure de simples prévenus ; car, pour les condamnés, les vrais coupables, les grands scélérats, ils avaient leurs prisons spéciales, les maisons de correction où ils étaient peut-être trop bien, car là encore le journalier vertueux pouvait trouver à envier, et faire une comparaison injurieuse à la Providence et à la société. Toutefois un inconvénient frappant se faisait remarquer encore dans ces maisons de correction ; c’était l’amalgame, la fréquentation habituelle de toutes les classes de condamnés, dont les uns n’y devant rester qu’une année pour des fautes moins graves, tandis que d’autres y étant pour quinze, vingt ans, pour toute leur vie, à cause d’horribles forfaits, il devait nécessairement en résulter bientôt une espèce de niveau moral, non par l’amélioration des scélérats, mais bien plutôt par l’aggravation des moins coupables.

« Ce qui encore me frappa fort dans la Vendée et ses alentours fut que les fous y étaient en nombre décuple peut-être que dans les autres parties de l’empire ; comme aussi les dépôts de mendicité et autres lieux de réclusion y présentaient des individus retenus comme vagabonds, ou qui pouvaient le devenir, n’ayant point de parents, ignorant leur origine, ayant été recueillis dès leur enfance sans qu’on sût d’où ils venaient. Quelques-uns avaient sur leurs personnes des blessures dont ils ignoraient le principe, les ayant reçues sans doute au berceau. On a laissé passer le temps de tirer parti de ces individus, qui n’ont jamais reçu aucune idée sociale. On ne sait plus aujourd’hui qu’en faire. – Ah ! s’est écrié l’Empereur, voilà bien la guerre civile et son effroyable cortège ; voilà ses inévitables résultats, ses fruits assurés ! Si quelques chefs font fortune et se tirent d’affaire, la poussière de la population est toujours foulée aux pieds ; aucun des maux ne lui échappe !

« – Au demeurant, je trouvai dans l’ensemble de ces établissements un bon nombre d’individus qu’on me dit, à tort ou à raison, être des prisonniers d’État, des détenus de la haute, moyenne et basse police.

« J’écoutai tous ces prisonniers, je reçus leurs plaintes, j’acceptai toutes leurs pétitions, sans néanmoins rien promettre ; je n’en avais pas le droit ; et puis je sentais fort bien que, n’entendant que leur propre témoignage, je ne devais trouver aucun coupable.