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réclusion ; ce qui n’eût pas empêché, du reste, qu’ils ne méritassent le ciel. Mais continuez.

« – Sire, ce ne fut pas sans émotion que je suivis les détails des établissements de bienfaisance. En contemplant toute la sollicitude, les soins, l’ardente charité de tant de belles âmes, je pus voir que nous étions loin de le céder en quoi que ce fût à aucun peuple ; que seulement nous y mettions moins d’ostentation, moins d’art peut-être à nous faire valoir ; le Midi surtout, le Languedoc particulièrement, faisait remarquer un surcroît de zèle et de ferveur dont on aurait peine à se faire une juste idée : partout les hôpitaux, les hospices étaient nombreux et généralement bien tenus. Les enfants trouvés avaient décuplé depuis la révolution ; je ne manquai pas de prononcer aussitôt que c’était l’effet de la démoralisation du temps ; mais on me fit observer, et une attention soutenue me convainquit, qu’on devait ce résultat, au contraire, à des causes très consolantes. Jadis, me dit-on, les enfants trouvés étaient si mal soignés, si mal nourris, si mal tenus, que toute leur population était chétive, malingre, expirante ; sur dix, il en périssait toujours sept à neuf ; tandis qu’aujourd’hui la nourriture, la propreté, les soins de toute espèce, sont tels qu’on les sauve presque tous, et qu’ils montrent une enfance magnifique : ainsi ils ne se sont multipliés que de leur propre conservation. La vaccine aussi y a contribué dans un rapport immense. On prend aujourd’hui un tel soin de ces enfants, qu’il en est provenu un abus singulier ; il arrive à des mères, même aisées, d’exposer leurs enfants ; puis elles se présentent à l’hospice, s’offrant charitablement de prendre un nourrisson chez elles : c’est le leur qu’elles reprennent, mais avec un petit salaire. Le tout se fait par compérages des agents mêmes et souvent pour procurer une légère pension à l’un des siens. Un autre abus de ce genre, non moins singulier encore, que je rencontrai en Belgique, était des inscriptions prises longtemps à l’avance pour être reçu à l’hôpital. Un jeune couple, tout en se mariant, obtenait de se faire inscrire pour des places qui lui écheraient de droit à quelques années de là : c’était une portion de la dot. – Jésus ! Jésus ! s’est écrié ici l’Empereur, levant les épaules en riant, et puis faites des règlements et des lois !… – Mais quant aux prisons, Sire, c’était presque universellement un tableau d’horreur et de véritable misère, la partie honteuse de nos départements ; de vrais cloaques infects, des réduits abominables, qu’il m’a fallu parfois traverser en courant, ou dont j’étais repoussé en dépit de tous mes efforts. Autrefois en Angleterre j’avais