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répéter, d’autant plus qu’ils ont aussi bien des charmes pour moi. Nous avons beaucoup parlé de nos jeunes années, de notre temps de l’École militaire. De là il est passé de nouveau aux écoles qu’il avait établies à Saint-Cyr et à Saint-Germain. Enfin il est revenu sur immigration et sur ce qu’il appelle nos encroûtés. Il s’était animé, avait pris de la gaieté à la suite de quelques anecdotes que je lui citais du faubourg Saint-Germain, relatives à sa personne ; et comme les plus petits objets s’agrandissent aussitôt qu’il les touche, il a dit : « Je vois bien que j’ai mal fait mes arrangements avec votre faubourg Saint-Germain : j’ai fait trop ou trop peu. J’ai fait assez pour mécontenter le parti opposé, et pas assez pour m’attacher tout à fait celui-là ! Pour quelques-uns d’entre eux qui sont avides d’argent, la foule se fût contentée de hochets et de vent, dont j’eusse pu la gorger sans blesser au fond nos nouveaux principes. Mon cher, j’ai fait trop et pas assez, et cependant cela m’a fort occupé. Malheureusement j’étais le seul dans mes intentions ; tout ce qui m’entourait les contrariait au lieu de les servir, et pourtant il ne pouvait avoir que deux grands partis à votre égard : celui d’extirper ou celui de fusionner. Le premier ne pouvait entrer dans ma pensée ; le second n’était pas facile, mais je ne le croyais pas au-dessus de mes forces. Et en effet, bien que nullement secondé, contrarié même, j’en étais venu à bout. Si je fusse demeuré, la chose se trouvait accomplie. Cela semblera prodigieux à celui qui sait juger du cœur des hommes et de l’état de la société. Je ne pense pas qu’on ait rien à citer de pareil dans l’histoire ; qu’on puisse montrer un aussi grand résultat obtenu en aussi peu de temps. J’en avais mesuré toute l’importance. Je devais compléter cette fusion, cimenter cette union à tout prix ; avec elle nous eussions été invincibles. Le contraire nous a perdus, et peut prolonger longtemps encore les malheurs, l’agonie peut-être de cette pauvre France. Je le répète de nouveau, j’ai fait trop ou trop peu : j’aurais dû m’attacher l’émigration à sa rentrée, l’aristocratie m’eût facilement adoré ; aussi bien il m’en fallait une ; c’est le vrai, le seul soutien d’une monarchie, son modérateur, son levier, son point résistant : l’État sans elle est un vaisseau sans gouvernail, un vrai ballon dans les airs. Or le bon de l’aristocratie, sa magie, est dans son ancienneté, dans le temps ; et c’étaient les seules choses que je ne pusse pas créer ; mais je manquai d’intermédiaires. M. de Breteuil s’était insinué auprès de moi, et m’y portait. M. de Talleyrand, au contraire, qui n’en était pas aimé sans doute, m’en éloignait de tous ses moyens. La démocratie raisonnable se borne à ménager à tous