Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/817

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

privée, avait reçu de lui, gouverneur, une telle lettre, il se serait coupé la gorge avec lui ; qu’on n’insultait pas, sous peine de réprobation sociale, un homme aussi connu et aussi vénéré sans doute en Europe que devait l’être le grand maréchal ; qu’il ne jugeait pas bien sa situation avec nous ; que tout ce qu’il faisait ici était déjà l’histoire ; que même la conversation de cet instant était l’histoire. Qu’il blessait chaque jour par sa conduite son propre gouvernement, sa propre nation, et qu’il pourrait lui en coûter avec le temps. Que son gouvernement le désavouerait à la fin, et qu’il resterait sur son nom une tache qui rejaillirait sur ses enfants. « Voulez-vous, lui disait l’Empereur, que je vous dise ce que nous pensons de vous ? Nous vous croyons capable de tout, mais de tout ; et tant que vous demeurerez avec votre haine, nous demeurerons avec notre pensée. J’attends encore quelque temps, parce que j’aime à être sûr ; et je me plaindrai alors de ce que le plus mauvais procédé des ministres n’a point été de m’envoyer à Sainte-Hélène, mais bien de vous en avoir donné le commandement. Vous êtes pour nous un plus grand fléau que toutes les misères de cet affreux rocher. »

Le gouverneur répondait à tout cela qu’il allait rendre compte à son gouvernement ; qu’avec l’Empereur il apprenait du moins quelque chose, tandis qu’avec nous il ne faisait que s’aigrir, et que nous envenimions tout.

Du reste, au sujet des commissaires des puissances, que le gouverneur demandait à présenter à l’Empereur, l’Empereur les a refusés dans leur capacité politique ; mais il a dit au gouverneur qu’il les recevrait volontiers comme hommes privés ; qu’il n’avait d’éloignement pour aucun d’eux, pas même pour celui de France, M. de Montchenu, qui pouvait être un fort brave homme, qui avait été son sujet dix ans, et qui, ayant été émigré, lui devait probablement à lui, Napoléon, le bienfait de sa rentrée en France ; et puis, après tout, c’était un Français ; que ce titre était ineffaçable pour lui, qu’il n’était point d’opinion qui pût le détruire à ses yeux, etc.

Enfin, au sujet des bâtisses nouvelles à Longwood, dont la proposition avait été le grand objet de la visite du gouverneur, l’Empereur avait répondu qu’il n’en voulait point, qu’il préférait demeurer mal comme il était, que d’acheter un mieux très éloigné au prix de beaucoup de bruit et de remue-ménage ; que les constructions dont il venait de lui parler demandaient des années pour leur accomplissement, et qu’ayant ce temps, ou nous ne vaudrions plus ce que nous coûtions, ou la Providence l’aurait délivré de nous, etc.