vait manquer d’arriver. Quel avantage n’en aurions-nous pas tiré, nous, frais et en bon état, qui guettions ce moment, toujours prêts à mettre sous voiles et à combattre ! Les Anglais se seraient-ils lassés, nos vaisseaux sortaient aussitôt pour exercer, former leurs équipages.
Nos armements complétés et le moment décisif approchant, les Anglais, effrayés pour leur île, se seraient-ils groupés en tête de leurs principaux arsenaux, Plymouth, Portsmouth et la Tamise, nos trois corps de Brest, Cherbourg et Anvers allaient à eux, et nos ailes les tournaient sur l’Irlande et sur l’Écosse. Se déterminaient-ils, fiers de leur adresse et de leur courage, à se présenter en masse, alors le tout se trouvait réduit à une affaire décisive, dont nous aurions choisi nous-mêmes le temps, le lieu, la saison ; et c’est ce que l’Empereur appelait sa bataille d’Actium, dans laquelle, si nous étions battus, nous n’éprouvions que de simples pertes, tandis que si nous triomphions, l’ennemi cessait d’exister. Or nous ne pouvions que triompher, disait-il ; car les deux nations se trouvaient alors corps à corps, et nous étions quarante et quelques millions contre quinze : il en revenait toujours là. Telle avait été une de ses hautes idées, une de ses gigantesques conceptions.
Napoléon a si prodigieusement fait, que ses œuvres, ses monuments semblent se nuire les uns les autres par leur nombre, leur variété, leur importance ; aussi aurais-je bien voulu consigner ici l’ensemble de ses travaux exécutés à Cherbourg, et ceux qu’il y avait projetés. Un des hommes précisément du métier même, et l’un de ses premiers ornements, m’en a promis le tableau. S’il me tient parole, on le rencontrera dans les volumes suivants.
Sur les deux heures on est venu demander à l’Empereur s’il voulait recevoir le gouverneur. Il lui a donné une audience de près de deux heures, a parcouru sans se fâcher, disait-il, tous les objets en discussion. Il lui a récapitulé tous nos griefs, énuméré tous ses torts ; il a parlé tour à tour à sa raison, à son esprit, à ses sentiments, à son cœur, « Je l’ai mis à même de tout réparer, de retravailler à neuf, disait-il ; mais vainement, car cet homme est sans fibres : il n’en faut rien attendre. »
Le gouverneur l’avait assuré, disait l’Empereur, qu’en arrêtant le domestique de M. de Montholon, il avait ignoré qu’il fût à notre service ; il a ajouté qu’il n’avait point lu la lettre cachetée de madame Bertrand. L’Empereur lui a fait observer que sa lettre au comte Bertrand était tout à fait en dehors de nos mœurs, et tout à fait en opposition avec nos préjugés ; que si lui, Napoléon, étant simple général et confondu dans la vie