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kir. Mais avec ma batterie centrale provisoire j’y parais déjà. Cependant, comme je suis pour le permanent, j’ordonnai en dedans de la digue, à son centre et comme en soutien, en renfort d’elle, et pour lui servir à son tour d’enveloppe, un énorme pâté elliptique dominant la batterie centrale, et supportant lui-même, en deux étages casematés et à l’épreuve de la bombe, cinquante pièces de gros calibre avec vingt mortiers à grande portée, ainsi que les casernes nécessaires, magasin à poudre, etc., etc.

« J’ai la satisfaction d’avoir laissé ce bel ouvrage accompli.

« Ma défensive pourvue, je n’avais plus à m’occuper que de l’offensive, qui consistait à pouvoir réunir à Cherbourg la masse de nos flottes. Or, la rade ne pouvait contenir que quinze vaisseaux. Pour en accroître le nombre, je fis creuser un port nouveau ; jamais les Romains n’entreprirent rien de plus fort, de plus difficile, qui dût durer davantage ! Il fut fouillé dans le granit à cinquante pieds de profondeur ; j’en fis solenniser l’ouverture par la présence de Marie-Louise, lorsque j’étais moi-même sur les champs de bataille de la Saxe.

« J’obtenais ainsi de pouvoir placer quinze vaisseaux de plus. Ce n’était point assez encore, aussi comptais-je m’étendre bien autrement. J’étais résolu de renouveler à Cherbourg les merveilles de l’Égypte : j’avais élevé déjà dans la mer ma pyramide ; j’aurais eu aussi mon lac Mœris. Mon grand objet était de pouvoir concentrer à Cherbourg toutes nos forces maritimes ; et avec le temps, au besoin, elles eussent été immenses, afin de pouvoir porter le grand coup à l’ennemi. J’établissais mon terrain de manière à ce que les deux nations tout entières eussent pu, pour ainsi dire, se prendre corps à corps ; et l’issue ne devait pas être douteuse, car nous aurions été plus de quarante millions de Français contre quinze millions d’Anglais ; j’eusse terminé par une bataille d’Actium. Et puis, que voulais-je de l’Angleterre ? Sa destruction ? Non, sans doute ; je ne lui demandais que le terme d’une usurpation intolérable ; la jouissance de droits imprescriptibles et sacrés ; l’affranchissement, la liberté des mers ; l’indépendance, l’honneur des pavillons ; je parlais au nom de tous et pour tous, et je l’eusse obtenu de gré ou de force : j’avais pour moi la puissance, le bon droit, le vœu des nations, etc., etc. »

J’ai des raisons de croire que l’Empereur, dégoûté des pertes qu’avaient coûtées sur mer les tentatives partielles, éclairé par une funeste expérience, avait adopté un nouveau système de guerre maritime.

Insensiblement la querelle entre l’Angleterre et la France avait pris