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la calèche est venue le prendre ; il y avait bien longtemps qu’il n’en avait fait usage. J’étais seul avec lui, et la conversation a roulé tout le temps sur le bill qui le concerne et qui nous est étranger… . . . . . . .

Au retour, l’Empereur a hésité s’il déjeunerait sous les arbres ; mais il s’est décidé à rentrer, et n’est pas ressorti de tout le jour ; il a dîné seul.

Après son dîner il m’a fait appeler ; il lisait des Mercures ou journaux anciens. Il y trouvait diverses anecdotes et circonstances de Beaumarchais. Cette lecture était piquante par l’extrême différence des mœurs, bien que dans des temps si voisins. Elle lui a présenté le voyage de Louis XVI à Cherbourg, sur lequel il s’est arrêté quelque temps, puis il a passé aux travaux de Cherbourg et a parcouru leur historique avec cette clarté, cette précision, ce piquant qui caractérise tout ce qu’il dit.

Cherbourg se trouve au fond d’une anse semi-circulaire, dont les deux extrémités sont l’île Pelée à droite, et la pointe Querqueville à gauche. L’alignement qui joint ces deux points forme la corde ou le diamètre, et court de l’est à l’ouest.

En face, au nord, et à très peu de distance, vingt lieues environ, est le fameux Portsmouth, le premier arsenal des Anglais. Le reste de leurs côtes court presque parallèlement aux nôtres. La nature a tout fait pour nos rivaux ; à nous elle a tout refusé. Leurs rivages sont sains et se nettoient encore chaque jour ; ils présentent beaucoup de fond, une multitude d’abris, de havres, de ports excellents ; nos côtes, au contraire, sont remplies d’écueils, elles ont peu d’eau et s’encombrent journellement davantage. Nous n’avons pas un seul véritable port de grande dimension dans ces parages ; si bien que les escadres ennemies, mouillées à Portsmouth, n’ont pas même besoin de mettre sous voiles pour nous inquiéter ; il leur suffit de quelques bâtiments légers pour les avertir ; et en un moment, sans peine et sans danger, elles se trouvent sur leur proie : on pourrait dire que de là les Anglais sont tout à la fois et chez eux et chez nous.

Si nos escadres, au contraire, osent se hasarder dans la Manche, qui ne devrait s’appeler à bien dire que la Mer Française, elles s’y trouvent en péril permanent ; la tempête ou la supériorité de l’ennemi peut amener leur destruction totale, parce que dans les deux cas il n’est point d’abri pour elles. C’est ce qui arriva à la fameuse journée de la Hogue, où Tourville, à la gloire d’un combat aussi inégal, eût pu joindre encore la gloire d’une belle retraite, s’il eût existé un port où se réfugier.

Dans cet état de choses les gens à bonnes vues, aimant le bien de leur