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Louis XVIII. » – « Mais je ne veux pas, » disait Tristan en grognant et faisant la grimace.

Cette après-dînée, lisant un ouvrage où l'auteur observait que la figure trompait souvent sur le caractère, l’Empereur s’est arrêté, a posé le livre avec un visage pénétré, un accent convaincu ; il a dit : « C’est bien vrai, et, quelque étude que l’on fasse, l’on ne saurait se flatter d’y parvenir. Que de preuves j’ai dans ce genre ! par exemple, j’avais quelqu’un auprès de moi ; sa figure, sans doute… Mais après tout, en effet, ce quelqu’un avait un œil de pie ; j’aurais dû y deviner quelque chose. » Et il s’est étendu sur le caractère de cette personne. Ils s’étaient connus dès l’enfance, disait-il ; il lui avait donné longtemps toute sa confiance ; il avait du talent, des moyens ; l’Empereur croyait même qu’il avait été attaché, fidèle. « Mais il était aussi par trop avide, disait-il, il aimait trop l’argent. Quand je lui dictais et qu’il lui arrivait d’avoir à écrire des millions, ce n’était jamais sans un mouvement sur toute sa figure, un lèchement de lèvres, une certaine agitation sur sa chaise qui, plus d’une fois, m’avait porté à lui demander ce que c’était, ce qu’il avait, etc. »

L’Empereur disait que le vice était trop prononcé pour qu’il eût pu garder cette personne auprès de lui. Mais que, vu ses autres qualités, il eût dû peut-être se contenter de la placer différemment, etc., etc.


Sur le Masque de Fer, etc. – Fable ingénieuse.


Vendredi 12.

La conversation a conduit aujourd’hui à traiter le Masque de Fer. On a passé en revue ce qui a été dit par Voltaire, Dutens etc., et ce que l’on trouve dans les Mémoires de Richelieu ; ceux-ci le font comme l’on sait, frère jumeau de Louis XIV et son aîné. Or, quelqu’un a ajouté que, travaillant à des cartes généalogiques, on était venu lui démontrer sérieusement que, lui, Napoléon, était le descendant linéal de ce Masque de Fer, et par conséquent l’héritier légitime de Louis XIII et de Henri IV, de préférence à Louis XIV et à tout ce qui en était sorti. L’Empereur de son côté a dit en avoir, en effet, entendu quelque chose, et il a ajouté que la crédulité des hommes est telle, leur amour du merveilleux si fort, qu’il n’eût pas été difficile d’établir quelque chose de la sorte pour la multitude, et qu’on n’eût pas manqué de trouver certaines personnes dans le Sénat pour le sanctionner, et probablement celles-là mêmes qui plus tard se sont empressées de le dégrader sitôt qu’elles l’ont vu dans l’adversité.