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pages, et jeta au feu cette première production de sa jeunesse. « Comme on ne s’avise jamais de tout, disait Napoléon, M. de Talleyrand ne s’était pas donné le temps d’en faire prendre copie. »

Le prince de Condé s’annonça un jour à l’école d’artillerie d’Auxonne : c’était un grand honneur et une grande affaire que de se trouver inspecté par ce prince militaire. Le commandant, en dépit de la hiérarchie, mit le jeune Napoléon à la tête du polygone, de préférence à d’autres d’un rang supérieur. Or, il arriva que la veille de l’inspection tous les canons du polygone furent encloués ; mais Napoléon était trop alerte, avait l’œil trop vif, pour se laisser prendre à ce mauvais tour de ses camarades, ou peut-être même au piège de l’illustre voyageur.

On croit généralement, dans le monde, que les premières années de l’Empereur ont été taciturnes, sombres, moroses ; mais, au contraire, en débutant au service, il était fort gai. Il n’a pas de plus grand plaisir ici que de nous raconter les espiègleries de son école d’artillerie ; il semble oublier alors momentanément les malheurs qui nous enchaînent, quand il s’abandonne aux détails de ces temps heureux de sa première jeunesse.

C’était un vieux commandant de plus de quatre-vingts ans, qu’ils vénéraient fort du reste, lequel, venant un jour leur faire faire l’exercice du canon, suivait chaque coup avec sa lorgnette, assurait qu’on devait