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terre, il se fût trouvé encore quelque jeune Stuart, brave, entreprenant, capable, à la hauteur du siècle, il eût été débarqué en Irlande, escorté des doctrines modernes, et l’on eût vu sans doute le spectacle des Stuart régénérés, chassant à leur tour les Brunswick dégénérés. L’Angleterre aussi eût eu son 20 mars. Et ce que c’est pourtant qu’un trône et tous ses poisons ; à peine y est-on assis, qu’on en ressent la contagion. Ces Brunswick, amenés par les idées libérales, élevés par la volonté du peuple, sont à peine assis, qu’ils ne recherchent que l’arbitraire et la toute-puissance ; il leur faut absolument rouler dans l’ornière qui a fait culbuter leurs devanciers ; et cela, parce qu’ils sont devenus rois !… Et l’on dirait que c’est la marche inévitable ! Cette belle tige des Nassau, par exemple, ces patrons en Europe d’une noble indépendance, eux dont le libéralisme devrait être dans le sang et jusque dans la moelle de leurs os ; ces Nassau enfin, qui ne seront qu’à la queue par leur territoire, et qui pourraient se placer à la tête par leurs doctrines, on vient à les asseoir sur un trône ; eh bien ! vous les verrez infailliblement ne s’occuper que de se rendre ce qu’on appelle aujourd’hui légitimes, en prendre les principes, la marche, les travers, etc. Eh ! mon cher, moi-même, après tout, ne m’a-t-on pas fait le même reproche ? et peut-être n’est-ce pas sans quelque apparence de raison, car enfin peut-être bien des nuances se seront dérobées à moi-même. J’ai pourtant déclaré dans une circonstance solennelle qu’à mes yeux la souveraineté n’était point dans le titre, ni le trône dans son appareil. On m’a reproché qu’à peine au pouvoir j’avais exercé le despotisme, l’arbitraire ; mais c’est la dictature qu’il fallait dire, et les circonstances m’absoudront assez. Ce qu’on m’a reproché encore, c’est de m’être laissé enivrer par mon alliance avec la maison d’Autriche, de m’être cru bien plus véritablement souverain après mon mariage, en un mot, de m’être cru dès cet instant Alexandre devenu le fils d’un dieu ! Mais tout cela était-il bien juste ? Ai-je donc prêté véritablement à de tels travers ? Il m’arrivait une femme jeune, belle, agréable ; ne m’était-il donc pas permis d’en témoigner quelque joie ? Ne pouvais-je donc, sans encourir le blâme, lui consacrer quelques instants ? Ne m’était-il donc pas permis, à moi aussi, de me livrer à quelques moments de bonheur ? Eût-on donc voulu qu’à la façon de votre prince de Galles, j’eusse maltraité ma femme dès la première nuit ? Ou bien encore attendait-on que j’eusse fait voler sa tête, à la façon de ce sultan, pour échapper aux reproches de la multitude ? Non, ma seule faute dans cette alliance a été vraiment d’y avoir