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ments et d’espérances. Le ciel s’ouvrait enfin pour cette opposition si longtemps panégyriste du prince, pour ces anciens amis, qui, dès l’enfance, semblaient avoir uni leurs destinées à la sienne. Mais, à la grande surprise de tous, et par je ne sais quelle rouerie, dit-on, de lord Castlereagh, rien ne fut changé. Ces anciens ministres, si longtemps l’objet de la réprobation du prince, demeurèrent, et ces amis si chers, si tendres, si longtemps flattés, n’arrivèrent point !

« L’opposition jeta les hauts cris : mais on lui répondit plaisamment que, quand le méchant prince de Galles était devenu un grand roi, son premier acte avait été de repousser son entourage. Cela pouvait être gai, mais nullement applicable ; car les plus beaux caractères de l’empire se trouvaient à la tête de cette opposition, et ils étaient loin d’être des Falstaff ou autres bouffons et autres mauvais sujets de la sorte ; aussi montrèrent-ils dès cet instant pour le prince un éloignement absolu : les uns ne voulurent plus le voir ; d’autres refusèrent ses invitations ou repoussèrent les avances qui leur étaient faites. On en cite un pourtant qui, par la suite, se laissa aller, dit-on, à accepter du prince un dîner privé. Celui-ci, recourant à ses moyens de séduction constamment victorieux, essaya de lui prouver, avec sa grâce accoutumée, qu’il n’avait pas pu agir différemment, et demanda de lui dire enfin ce dont ses anciens amis pouvaient l’accuser avec justice. Le convive, le cœur encore gros, profita de l’occasion et lui récapitula sans ménagement tous ses torts ; et le tout avec une telle chaleur que la princesse Charlotte, qui se trouvait à table et penchait peut-être en secret pour l’opinion du convive, se mit à fondre en larmes. Cette scène étant parvenue le lendemain à lord Byron, il la consacra dans des vers qui firent quelque bruit.

« Pleure, fille des rois, y était-il dit, pleure les fautes de ton père ! Puisse chacune de tes larmes effacer un de ses torts ! Puisse surtout le peuple d’Angleterre, pressentant dans la douleur son heureux avenir, payer d’un sourire chacun de tes pleurs[1] !

  1. Depuis mon retour en Europe, je me suis procuré ces vers en original. Si ma traduction présente quelque différence, c’est qu’à Sainte-Hélène je citais de mémoire. Les voici :

    Weep daughter of a royal line,
    A sire’s disgrace, a realm’s decay ;
    Ah, happy ! if each tear of thine
    Could wash a father’s fault away !
    Weep for thy tears are virtue’s tears
    Auspicious to these suffering isles ;
    And be each drop in future years
    Repaid thee by thy people’s smiles !

    March 1812.