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dans le court intervalle de la négociation, une femme célèbre qui convoitait depuis longtemps de gouverner le prince, trouvant la place vide, s’y établit. On lui prête d’avoir dit qu’elle y visait depuis vingt ans ; car elle était encore beaucoup plus âgée que lui, circonstance qui était comme un goût particulier à la famille ; on l’a remarquée aussi dans plusieurs de ses frères. Cette personne fut aussitôt nommée dame d’honneur de la future princesse de Galles ; elle fut même la chercher, et l’amena en Angleterre. Ce fut sous de tels auspices, et sous cette maligne influence, que la nouvelle épouse mit le pied sur le sol britannique. Aussi assure-t-on que cette malheureuse princesse n’eut même pas la douceur de vingt-quatre heures complètes de cet instant privilégié, si significativement appelé par les Anglais la lune de miel. Dès le lendemain, les moqueries, les manques d’égards, le mépris, demeurèrent son partage.

« Tout ce qu’il y avait de généreux, de moral en Angleterre prit parti pour elle, et jeta les hauts cris. Néanmoins le plus odieux, il faut en convenir, en retomba sur celle qui en était la cause, et qu’on accusa d’avoir ensorcelé le prince. Elle devint l’exécration publique, et toutefois le prince, assurait-on, n’avait même pas pour excuse les prestiges de son aveuglément ; car on prétend qu’à la suite d’un repas très gai, au milieu de ses joyeux compagnons, l’un d’eux fut conduit par la conversation à dire qu’il connaissait la madame de Merteuil de notre roman des Liaisons dangereuses. Un grand nombre d’autres s’écrièrent aussitôt qu’ils en connaissaient aussi une. Alors le prince, dit-on, proposa follement que chacun écrivît à part son secret. Tous les billets furent jetés dans un vase, et il en sortit autant de lady *** qu’il y avait de convives ; le prince lui-même n’ayant pas soupçonné une telle unanimité, et n’imaginant pas être reconnu, avait aussi, dit-on, écrit ce nom !!!

« J’ai connu cette dame, et il faut avouer que sa figure et tout son ensemble répondaient si peu à son âge, qu’il était bien difficile de le deviner. Elle avait tous les charmes de la première jeunesse, rehaussés de toute la grâce des meilleures manières, et je dois dire que dans les cercles où je l’ai vue, elle exerçait même une certaine attraction de bienveillance ; soit que les mœurs de cet étage disposassent à l’indulgence, soit qu’en effet elle ne méritât pas toutes les malédictions dont on l’accablait dans la rue.

« Une faculté tout à fait privilégiée dans le prince de Galles semble avoir été ce que les Anglais appellent le pouvoir de la fascination.