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Mais arrêtez-vous, me dit l’Empereur, vous allez beaucoup trop vite, vous passez ce qui m’intéresse davantage. Sous quels auspices le prince de Galles entra-t-il dans le monde ? Quelle fut sa nuance politique ? son attitude avec l’opposition ? etc. – Sire, ce prince se présenta au public avec tous les avantages de la figure, tous ceux du corps et de l’esprit. Il fut accueilli avec un enthousiasme universel ; mais il développa bientôt ces penchants et ces actes, qui, dans le milieu du dernier siècle, semblaient former le rôle obligé de grands seigneurs à la mode. Ce furent la fureur du jeu et ses inconvénients, les excès de la table et le reste ; surtout un entourage en grande partie réprouvé par l’opinion. Alors les cœurs généreux se resserrèrent, les espérances se ternirent, et la portion intermédiaire, qui partout constitue véritablement la nation, et qui en Angleterre, il faut en convenir, présente la population la plus morale de l’Europe, désespéra de son avenir. C’était un adage reçu en Angleterre, répété surtout parmi le peuple, que le prince de Galles ne régnerait jamais ; les diseuses de bonne aventure, les sorciers, disait-on, devaient le lui avoir prédit à lui-même, etc., etc.

« L’opposition, dans les bras de laquelle il s’était jeté, ainsi que cela n’est que trop commun aux héritiers présomptifs ; l’opposition, dont il était l’appui et les espérances, cherchant à s’aveugler ou autrement, se tirait d’affaire, quand on lui exposait tous ses griefs, en répondant qu’il renouvellerait Henri V ; que Henri V avait montré un bien mauvais sujet pour prince de Galles ; mais qu’il était devenu le premier roi de la monarchie, et ils en concluaient que le prince de Galles serait un de leurs plus grands rois. – Mais, disait l’Empereur, est-ce qu’il a pris le parti de la révolution et défendu nos idées modernes ? – Non, Sire ; à mesure que la crise des principes allait chez nous en croissant, la décence le forçait de s’éloigner de l’opposition qui en prenait la défense ; il cessait une alliance ostensible, et remplissait le vide de sa vie en s’abandonnant aux plaisirs et à leurs inconvénients ; il était constamment surchargé de dettes, bien que le parlement les eût déjà payées plusieurs fois ; elles l’embarrassaient fort, et compromettaient son caractère et sa popularité. Ce fut dans une de ses gênes extrêmes, combinées avec la querelle de madame Fitz Herbert, que M. Pitt s’empara du prince, en offrant de faire acquitter encore une fois ses dettes, s’il voulait enfin se rapprocher tout à fait de son père et consentir à se marier. Il lui fallut en passer par tout ce qu’on voulut, et la main de la princesse de Brunswick fut demandée et obtenue. Mais