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« Les deux frères de George III étaient le duc de Cumberland et le duc de Glocester. J’ai beaucoup connu celui-ci en société très privée : c’était le plus digne, le plus honnête, le plus loyal gentilhomme de l’Angleterre. Tous deux, selon l’esprit de la constitution britannique, n’étaient que d’illustres particuliers totalement étrangers aux affaires. Or il parvint au roi que l’un d’eux avait épousé ou allait épouser une simple particulière : c’était une grande faute à ses yeux ; il avait fait, lui, un si grand sacrifice pour ne pas la commettre : il s’en fâcha beaucoup ; et, comme il envoyait à ce sujet un message au parlement contre celui de ses frères qui s’était rendu coupable, voilà qu’il apprend que l’autre s’est évadé à Calais pour en déclarer autant. C’était comme une fatalité, une véritable épidémie ; car on répandait aussi de tous côtés que l’héritier même du trône s’était marié secrètement. – Quoi ! dit l’Empereur, le prince de Galles ? – Oui, Sire, lui-même : on racontait partout son mariage, qu’on entourait de détails trop peu sûrs pour que je me permette de les hasarder ; mais le fait semblait généralement reconnu. Il est vrai que le prince l’a fait démentir plus tard en parlement par l’organe de l’opposition, et dès lors il faut le croire.

« Toutefois je tiens de la bouche même d’un très proche parent de sa prétendue femme que la chose était positive. Je lui ai entendu jeter feu et flamme lors du mariage solennel du prince, et menacer de se porter à des excès personnels. Cela pouvait donc demeurer un point contesté, qui prenait la couleur inévitable de l’esprit de parti : les uns soutenaient avec obstination la réalité de ce mariage, tandis que les autres le niaient avec violence. Peut-être pourrait-on concilier cette contradiction en disant que celle que l’on prétendait qu’il avait épousée (madame Fitz Herbert), étant catholique, cette circonstance rendait le mariage impossible aux yeux de la loi, et parfaitement nul dans l’héritier de la couronne. Quoi qu’il en soit, j’ai souvent rencontré madame Fitz Herbert en société ; sa voiture était aux armes du prince, et sa livrée la livrée du prince. Cette dame était beaucoup plus âgée que lui. Au surplus, belle, aimable, de beaucoup de caractère et d’une fierté peu endurante, ce qui la brouillait souvent avec le prince, et amenait entre eux, disait-on, des scènes de violence fort peu dignes d’un rang aussi élevé. C’est dans une dernière querelle de ce genre, lorsque madame Fitz Herbert avait, assurait-on, fait fermer sa porte obstinément au prince, que M. Pitt eut l’adresse de saisir l’occasion favorable pour le faire consentir à épouser la princesse de Brunswick. –