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tion. – Mais, disait l’Empereur, quelle fut la conduite du prince de Galles dans cette circonstance ? – Sire, il faut croire qu’elle fut bonne ; toutefois on parla beaucoup alors d’une caricature très maligne qui représentait un jeune homme fort ressemblant, comme de coutume, s’agitant à plat ventre dans la boue au milieu de la rue ; elle portait pour légende : Jeune héritier courant ventre à terre féliciter son père sur son retour à la santé.

« L’on ne doutait pas que M. Pitt n’eût été en cette occasion le véritable sauveur du roi, ainsi que le sauveur de la paix publique ; car l’expérience prouva que George III avait la capacité de régner encore, et l’on ne doutait pas que si la régence eût été organisée ainsi que le prétendait l’opposition, cette capacité eût été difficilement reconnue par la suite, et eût sans doute donné lieu à une guerre civile.

« J’ai souvent entendu dire que le dérangement mental de George III n’était pas une folie ordinaire, que son aliénation ne venait pas précisément de l’affection locale du cerveau, mais bien de l’engorgement des vaisseaux qui y conduisent ; dérangement produit par une maladie depuis longtemps particulière à cette famille. Son mal, disait-on, était plutôt chez lui du délire que de la folie. La cause cessant, le prince retrouvait aussitôt toutes ses facultés, et avec autant de force que si elles n’avaient subi aucune interruption ; c’est ce qui explique ses nombreuses rechutes et ses nombreux rétablissements. On en donnait pour preuve la force mentale qui avait dû lui être nécessaire pour pouvoir, à l’instant de sa première convalescence, supporter la pompe, le spectacle de la population de Londres réunie sur son passage et remplissant l’air de ses acclamations.

« Une autre preuve non moins remarquable, c’était, après une seconde rechute, le calme et le sang-froid avec lesquels il reçut au spectacle le feu de son assassin en entrant dans sa loge. Il en fut si peu troublé qu’il se retourna aussitôt vers la reine, qui se trouvait encore en dehors, pour lui dire de ne pas s’effrayer, que ce n’était qu’une fusée qu’on venait de tirer dans la salle ; et il demeura sans émotion apparente tout le reste du temps. Certes, tout cela n’annonçait pas une tête faible. Il est vrai qu’on pourrait opposer à ces choses la permanence du mal dans ses dernières années, s’il est certain qu’il n’eut point de longs intervalles lucides.

« George III, ce monarque si honnête homme et si bien intentionné, a manqué périr plus d’une fois de la main des assassins ; sa carrière fournit l’exemple de plusieurs tentatives, et je ne crois pas qu’aucun