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en Angleterre : les prétendants avaient fini ; la maison de Hanovre se trouvait désormais assise ; les whigs, qui l’avaient placée sur le trône, furent évincés de l’administration : c’étaient des surveillants incommodes dont on n’avait plus besoin ; elle fut ressaisie par les torys, ces amis du pouvoir, qui l’ont toujours conservé depuis, au grand détriment des libertés publiques.

Toutefois le roi personnellement était exempt de passion à cet égard : il aimait sincèrement les lois, la justice, et surtout le bien-être et la prospérité de son pays. Si l’Angleterre a pris un parti si violent contre notre Révolution française, c’est bien moins à George III qu’il faut s’en prendre qu’à M. Pitt, qui en fut le véritable boute-feu. Celui-ci était mû par la haine extrême qu’il portait à la France, héritage de son père le grand Chatam ; et aussi par une vive tendance vers le pouvoir de l’oligarchie. M. Pitt, au moment de notre révolution, était l’homme de la nation ; il gouvernait l’Angleterre ; il entraîna le roi, qu’on gagnait toujours par les faits : et il faut convenir que les excès et les souillures de notre premier début étaient, sous ce rapport, des armes bien favorables aux dispositions et à l’éloquence de M. Pitt. Sire, il est à croire que si l’infortuné George III eût conservé sa raison, Votre Majesté en eût à la fin tiré aussi un grand parti, parce qu’elle lui eût présenté d’autres faits, et qu’il s’y serait rendu. George III avait sa nature et sa mesure de caractère : elle était en harmonie avec ses conceptions intellectuelles ; il voulait savoir, être convaincu. Une fois sa route prise, il était difficile de l’en faire sortir, toutefois ce n’était pas impossible ; son bon sens laissait de grandes ressources.

Sa maladie, sous ce rapport, a été un fléau pour nous, un fléau pour l’Europe, un fléau pour l’Angleterre même, qui commence à revenir de la haute opinion qu’elle avait conçue de M. Pitt, dont elle ressent aujourd’hui les funestes erreurs.

Ce fut le premier accès de la maladie du roi qui fixa la réputation de M. Pitt et son crédit. À peine au-dessus de vingt-cinq ans, il osa lutter seul contre la masse de ceux qui abandonnaient le roi, le croyant perdu, contre la masse de ceux qui se hâtaient de proclamer son incapacité pour se saisir du pouvoir sous son jeune successeur. Cette conduite rendit Pitt l’idole de la nation ; c’est la belle époque de sa vie ; et son plus doux triomphe a été sans contredit de conduire George III à Saint-Paul, allant rendre grâces à Dieu de sa guérison au milieu d’un concours immense de peuple ivre de joie et de satisfac-