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cour, le roi, le prince de Galles, M. Pitt, M. Fox, et autres grands personnages qui figuraient alors ? Dites-moi ce que vous en savez. Quelle était l’opinion ? Faites-moi un historique. – Sire, Votre Majesté oublie en ce moment ou n’a peut-être jamais bien su la position d’un émigré à Londres. Je doute qu’on nous eût reçus à la cour ; le bon vieux George III était plein d’intérêt pour nos malheurs individuels, mais il répugnait fort à nous avouer politiquement. Et eût-on voulu nous y recevoir, nos moyens ne nous permettaient pas d’y paraître. Je n’ai donc pas été à la cour. Toutefois j’ai vu la plupart de ceux que mentionne Votre Majesté, et surtout j’en ai entendu beaucoup parler.

« J’ai vu et entendu le roi de très près plusieurs fois à la chambre des pairs ; le prince de Galles dans les mêmes circonstances, et de plus, dans les cercles de la capitale. Et puis, il n’en est pas de Londres comme de la France ; on n’y retrouve pas cette immense distance entre la cour et la masse de la nation : le pays est si ramassé, les lumières si générales, l’éducation si rapprochée, l’aisance si commune, la sphère d’activité si rapide, que toute la nation semble être dans le même lieu et sur le même plan ; et qu’à la vue de cet ensemble, qu’on pourrait dire distingué, on est tenté de se demander où est le peuple ? ce qui est en effet la question que l’on prête à Alexandre lors de sa visite à Londres. Il en résulte donc qu’ayant vu beaucoup de monde de toutes les classes, de tous les états, de toutes les opinions, je dois avoir reçu des notions qui nécessairement peuvent fort approcher de la vérité. Malheureusement alors je m’occupais peu d’observer et de recueillir, et je crains bien qu’aujourd’hui, après un si long temps, tous ces objets ne sortent que très confusément de ma mémoire.

« George III était le plus honnête homme de son empire ; ses vertus privées le rendaient pour tous un objet de vénération profonde ; une extrême moralité, un grand respect pour les lois, furent le principal caractère de toute sa vie. Roi à vingt ans, et vivement épris des charmes d’une belle Écossaise des premières familles du pays, on craignait fort qu’il ne voulût l’épouser ; mais il suffit de lui rappeler que c’était contraire à la loi, et il consentit dès cet instant à épouser celle qu’on lui désignerait : ce fut une princesse de Mecklembourg. Dans sa douleur il la trouva fort laide, et elle l’était en effet beaucoup ; néanmoins George III est demeuré toute sa vie un époux exemplaire ; jamais on ne lui a connu la moindre distraction.

« L’avènement de George III a été une véritable révolution politique