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À trois heures, le gouverneur et le nouvel amiral sir Pulteney Malcolm ont été introduits chez l’Empereur, qui, bien qu’il fût souffrant, a été néanmoins très gracieux et fort causant.

Avant et après le dîner, l’Empereur a parcouru l’ouvrage d’un ancien aide de camp du vice-roi sur la campagne de Russie. On le lui avait dit affreux. L’Empereur s’est tellement habitué aux libelles et aux pamphlets que les déclamations ne lui font plus rien. Il ne voit plus dans ces ouvrages que les faits ; et, sous ce point, il ne trouvait pas celui-ci si mauvais qu’on le lui avait dit : « Un historien y prendrait de bonnes choses, disait-il, des faits, et négligerait les déclamations, qui ne sont faites que pour les sots. Or, ici l’auteur prouve que les Russes eux-mêmes ont brûlé Moscou, Smolensk, etc… que nous avons été victorieux dans toutes les affaires. Les faits, dans cet ouvrage, remarquait alors l’Empereur, ont été évidemment rédigés pour être publiés sous mon règne au temps de ma puissance. Les déclamations ont été intercalées depuis ma chute.

« Quant aux désastres de la retraite, je ne lui ai laissé rien à dire non plus qu’aux autres libellistes, mon vingt-neuvième bulletin a été leur désespoir. Ils ont été, dans leur rage, jusqu’à me reprocher d’avoir exagéré. Ils étaient furieux ; je les privais aussi d’un beau sujet ; je leur avais enlevé leur proie. »

Après la citation de cet auteur et de plusieurs autres Français, tous dénaturant nos victoires et déclamant contre nous-mêmes, il n’a pu s’empêcher de remarquer qu’il était sans exemple de voir une nation s’acharner ainsi à ruiner sa propre gloire, de voir s’élever de son propre sein les mains occupées à flétrir et à détruire ses trophées. « Mais du milieu d’elle s’élèveront indubitablement aussi, disait-il, des vengeurs. Les temps à venir noteront d’infamie le délire d’aujourd’hui. » Et il s’écriait : « Se peut-il bien que ce soient des Français qui parlent, qui écrivent ainsi ? N’ont-ils donc ni cœur ni entrailles pour la patrie ? Non, ils ne sont point Français ; ils parlent notre langue peut-être, ils sont nés sur le même sol que nous ; mais ils n’ont ni notre cœur ni nos sentiments. Ils ne sont point Français ! »


Paroles prophétiques, etc. – Lord Holland, etc., princesse Charlotte de Galles – Conversation particulière et personnelle inappréciable pour moi.


Vendredi 21.

L’Empereur marchait dans le jardin ; nous étions tous autour de lui. La conversation est tombée sur la possibilité de se trouver un jour en