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reviennent en cet instant : elles seront d’autant plus caractéristiques, qu’elles appartiendront à Longwood même, où Napoléon néanmoins devait avoir plus d’abandon et se tenir moins en garde.

J’étais d’ordinaire assis auprès de mon fils quand l’Empereur lui dictait, tout en marchant dans son appartement ; or il lui arrivait souvent de s’arrêter derrière moi pour voir où en était la dictée. Combien de fois, dans cette situation, il me serrait la tête de ses deux bras ! Souvent alors une légère pression me rapprochait d’abord de lui ; mais presque aussitôt réprimant ce mouvement, il ne semblait plus qu’avoir voulu s’accouder sur mes épaules, ou bien encore s’essayer, comme par jeu, de me faire plier, se récriant alors sur ma force.

À mon fils, qu’il aimait beaucoup, je l’ai vu souvent faire de la main ce qu’on eût pu appeler une caresse ; et comme pour annuler tout aussitôt ce geste, l’accompagner à l’instant de paroles dites d’une voix relevée, approchant fort de la brusquerie. Enfin je l’ai vu entrant un jour au salon, dans des dispositions de contentement et de distraction, prendre affectueusement la main de madame Bertrand, l’élever pour la porter à ses lèvres, et s’arrêter subitement par un mouvement qui eût eu de la gaucherie, si madame Bertrand elle-même n’y eût pourvu en s’empressant, avec cette grâce parfaite qui la caractérise, de baiser elle-même cette main qui lui avait été tendue. Mais me voilà bien loin de mon sujet, je me suis laissé aller au bavardage. Revenons au Conseil d’État.

On nous distribuait, imprimés et à domicile, tous les rapports, les projets d’avis et de décrets que nous devions discuter. Il est tel objet, l’Université, par exemple, qui a subi peut-être vingt rédactions ; d’autres languissaient longtemps dans les cartons, ou finissaient même par disparaître tout à fait sans qu’il en fût donné aucun motif.

Au retour de ma mission en Hollande, et tout nouvellement membre du Conseil d’État, spécialement attaché à la marine, dans tout le feu de mon premier zèle, et fort de mes observations en Hollande, je pris la parole sur la conscription, laquelle se discutait en cet instant. Je demandai qu’il fût permis à tous les conscrits hollandais, vu leur sympathie naturelle, de choisir le service de la marine. Je demandai encore que dans toute la conscription française, il fût loisible à chacun de faire le même choix. Je faisais ressortir les inconvénients qu’on évitait par là, et les grands avantages qu’on se procurait. On ne pouvait, disais-je, trop multiplier nos marins. Nos équipages de vaisseaux étaient de vrais régiments ; les mêmes hommes étaient donc tout à la fois ma-