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« Irai-je à Madrid ? Exercerai-je l’acte d’un grand protectorat, en prononçant entre le père et le fils ? Il me semble difficile de faire régner Charles IV ; son gouvernement et son favori sont tellement dépopularisés qu’ils ne se soutiendraient pas trois mois.

« Ferdinand est l’ennemi de la France, c’est pour cela qu’on l’a fait roi. Le placer sur le trône sera servir les factions qui, depuis vingt-cinq ans, veulent l’anéantissement de la France. Une alliance de famille serait un faible lien. La reine Élisabeth et d’autres princesses françaises ont péri misérablement lorsque l’on a pu les immoler impunément à d’atroces vengeances. Je pense qu’il ne faut rien précipiter, qu’il convient de prendre conseil des évènements qui vont suivre… Il faudra fortifier les corps d’armée qui se tiendront sur les frontières du Portugal et attendre…

« Je n’approuve pas le parti qu’a pris Votre Altesse Impériale de s’emparer aussi précipitamment de Madrid. Il fallait tenir l’armée à dix lieues de la capitale. Vous n’aviez pas l’assurance que le peuple et la magistrature allaient reconnaître Ferdinand sans contestation. Le prince de la Paix doit avoir dans les emplois publics des partisans ; il y a d’ailleurs un attachement d’habitude au vieux roi qui pouvait produire des résultats. Votre entrée à Madrid, en inquiétant les Espagnols, a puissamment servi Ferdinand. J’ai donné ordre à Savary d’aller auprès du nouveau roi voir ce qui se passe. Il se concertera avec Votre Altesse Impériale. J’aviserai ultérieurement au parti qui sera à prendre ; en attendant, voici ce que je juge convenable de vous prescrire :

« Vous ne m’engagerez à une entrevue en Espagne avec Ferdinand que si vous jugez la situation des choses telle que je doive le reconnaître comme roi d’Espagne. Vous userez de bons procédés envers le roi, la reine et le prince Godoy. Vous exigerez pour eux et vous leur rendrez les mêmes honneurs qu’autrefois. Vous ferez en sorte que les Espagnols ne puissent pas soupçonner le parti que je prendrai. Cela ne vous sera pas difficile : je n’en sais rien moi-même.

« Vous ferez entendre à la noblesse et au clergé que si la France doit intervenir dans les affaires d’Espagne, leurs privilèges et leurs immunités seront respectés. Vous leur direz que l’Empereur désire le perfectionnement des institutions politiques de l’Espagne, pour la mettre en rapport avec l’état de civilisation de l’Europe, pour la soustraire au régime des favoris… Vous direz aux magistrats et aux bourgeois des villes, aux gens éclairés, que l’Espagne a besoin de recréer la machine de son gouvernement, et qu’il lui faut des lois qui