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« Quand je les tins tous réunis à Bayonne, ma politique se trouva posséder bien au-delà de ce qu’elle eût jamais osé prétendre ; il en a été ainsi de plus d’un autre évènement de ma vie dont on a fait honneur à ma politique, et qui n’appartenait qu’au hasard : je n’avais pas combiné, mais je profitais. Ici j’avais le nœud gordien devant moi, je le coupai ; j’offris à Charles IV et à la reine de me céder la couronne d’Espagne et de vivre paisiblement en France ; ils s’y prêtèrent, je pourrais dire presque volontiers, tant ils étaient ulcérés contre leur fils, et tant eux et leur favori ne recherchaient autre chose désormais que le repos et la sûreté. Le prince des Asturies n’y résista pas extraordinairement ; mais il ne fut employé contre lui ni violence ni menace ; et si la peur le décida, ce que je crois bien, cela ne dut regarder que lui.

« Voilà, mon cher, en bien peu de mots, tout l’historique de l’affaire d’Espagne : quoi qu’on en dise ou qu’on écrive, on en arrivera là ; et vous voyez qu’il ne saurait y avoir occasion pour moi à détour, mensonges, manque de paroles ou violations d’engagements. Pour m’en rendre coupable, il eût donc fallu vouloir me salir gratuitement ; or jamais je n’ai montré ce penchant.

« Du reste, dès que j’eus prononcé, la tourbe des intrigants qui fourmille dans toutes les cours, ceux-là mêmes qui avaient été les plus actifs à provoquer les malheurs, cherchèrent aussitôt à faire leur affaire auprès de Joseph, comme ils l’avaient faite auprès de Charles IV et de Ferdinand VII ; mais, soigneusement attentifs à la marche des évènements, ils ont tourné plus tard à mesure que les circonstances devenaient difficiles et que nos désastres approchaient ; si bien que ce sont encore eux qui se trouvent gouverner aujourd’hui Ferdinand ; et, chose effroyable ! pour mieux s’asseoir, ils n’ont pas hésité à rejeter l’odieux et le crime des malheurs éprouvés sur la masse des niais, qu’ils ont proscrits et qu’ils tiennent dans le bannissement, de ces gens naturellement honnêtes qui, dans le principe, blâmèrent fort le voyage de Ferdinand, dont plusieurs même s’y opposèrent, puis prêtèrent serment à Joseph, qui leur sembla identifié pour lors au bonheur et au repos de leur patrie, et lui demeurèrent fidèles jusqu’à ce que la grande catastrophe vînt le faire descendre du trône.

« Il serait difficile d’accumuler plus d’effronterie et de turpitude que n’en ont montré tous ces intrigants, principaux acteurs de cette grande scène ; ce qui, pour le dire en passant, atténue la dégradation dont de