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qui aspirait à gouverner. Ces deux partis recherchaient également mon appui et me faisaient beau jeu ; nul doute que je ne fusse résolu d’en tirer tout l’avantage possible.

« Le favori, pour se maintenir dans son poste, aussi bien que pour se mettre à l’abri de la vengeance du fils (la mort du père arrivant), m’offrait, au nom de Charles IV, de faire de concert la conquête du Portugal, se réservant pour lui la souveraineté des Algarves comme asile.

« D’un autre côté, le prince des Asturies m’écrivait clandestinement, à l’insu de son père, pour me demander une femme de ma main, et implorer ma protection.

« Je conclus avec le premier, et laissai le second sans réponse. Mes troupes étaient déjà admises dans la péninsule quand le fils profita d’une émeute pour faire abdiquer son père et régner à sa place.

« On m’a imputé bêtement d’avoir pris part à toutes ces intrigues ; mais j’y étais d’autant plus étranger, que la dernière circonstance surtout dérangeait tous mes projets arrêtés avec le père, et par suite desquels mes troupes se trouvaient déjà au sein de l’Espagne. Les deux partis sentirent bien dès lors que je pouvais et devais être leur arbitre. Le roi détrôné s’adressa donc à moi pour obtenir vengeance, et le fils y eut recours pour être reconnu. Tous deux s’empressèrent de venir plaider devant moi, également poussés par leurs conseillers respectifs, ceux-là mêmes qui les gouvernaient tout à fait, et qui ne voyaient plus d’autres moyens pour assurer leur propre tête que de se jeter dans mes bras.

« Le prince de la Paix, ayant failli être massacré, persuada facilement ce voyage à Charles IV et à la reine, qui s’étaient eux-mêmes vus en danger de périr par la multitude.

« De son côté, le précepteur Escoiquiz, le véritable auteur de tous les maux de l’Espagne, alarmé de voir Charles IV protester contre son abdication, ne voyant que l’échafaud si son pupille ne triomphait pas, fut fort ardent à déterminer le jeune roi. Ce chanoine, d’ailleurs très confiant dans ses moyens, ne désespérait pas d’influencer de vive voix sur mes déterminations, et de m’amener ainsi à reconnaître Ferdinand, m’offrant, pour son propre compte, de gouverner, disait-il, tout à fait à ma dévotion, aussi bien que pourrait le faire le prince de la Paix, au nom de Charles IV. Et il faut convenir, disait l’Empereur, que si j’eusse écouté plusieurs de ses raisons et suivi quelques-unes de ses idées, je m’en serais beaucoup mieux trouvé.