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« Quand les circonstances devinrent difficiles pour nous en Espagne, disait l’Empereur, je proposai plus d’une fois à Ferdinand de s’en retourner, d’aller régner sur son peuple, lui disant que nous nous ferions franchement la guerre, que le sort des armes en déciderait. – Non, répondit le prince, qui semble avoir été bien conseillé, et ne varia jamais de ce système ; des troubles politiques agitent mon pays, je ne manquerais pas de compliquer les affaires, je pourrais en devenir la victime et porter ma tête sur l’échafaud : je reste ; si vous voulez m’accorder votre protection et l’appui de vos armes, je pars, et je vous serai un allié fidèle.

« Plus tard, lors de nos désastres, et vers la fin de 1813, je me rendis à cette proposition, et le mariage de Ferdinand fut arrêté avec la fille aînée de Joseph ; mais alors les circonstances n’étaient plus les mêmes, et Ferdinand demanda d’ajourner le mariage. – Vous ne pouvez plus m’accorder l’appui de vos armes, disait-il, je ne dois point me donner en ma femme un titre d’exclusion aux yeux de mes peuples. Et il partit dans des intentions de bonne foi, à ce qu’il semble, continuait l’Empereur, car il est demeuré fidèle aux principes de son départ jusqu’aux évènements de Fontainebleau. »

Il est hors de doute que, si les affaires de 1814 eussent tourné différemment, il n’eût accompli, assurait l’Empereur, son mariage avec la fille de Joseph.

L’Empereur, en revenant sur ces évènements, disait que les résultats lui donnaient irrévocablement tort, mais qu’indépendamment de ce tort du destin, il se reprochait aussi des fautes graves dans l’exécution. Une des plus grandes était d’avoir mis de l’importance à détrôner la dynastie des Bourbons, et à maintenir comme base de ce système, pour souverain nouveau, précisément celui qui, par ses qualités et son caractère, devait nécessairement le faire manquer.

Lors de la réunion à Bayonne, l’ancien précepteur de Ferdinand, son principal conseil (Escoiquiz), apercevant tout aussitôt les grands projets de l’Empereur, et défendant la cause de son maître, lui disait : « Vous voulez vous créer un travail d’Hercule lorsque vous n’avez sous la main qu’un jeu d’enfant. Vous voulez vous délivrer des Bourbons d’Espagne : pourquoi les craindriez-vous ? Ils sont nuls, ils ne sont plus Français. Vous connaissez la force des vôtres : ils sont des aigles comparés aux nôtres. Vous n’avez aucunement à les craindre : ils sont tout à fait étrangers à votre nation et à vos mœurs. Vous avez ici madame de Montmorency et de vos dames nouvelles ; ils ne connais-