Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/710

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

teurs, disait-il, si terribles, si à charge à tant de réputations, ne sont constamment utiles et favorables qu’à moi seul. C’est avec les pièces officielles que les gens sages, les vrais talents, écriront l’histoire ; or, ces pièces sont pleines de moi, et ce sont elles que je sollicite et que j’invoque. » Il ajoutait qu’il avait fait du Moniteur l’âme et la force de son gouvernement, son intermédiaire et ses communications avec l’opinion publique du dedans et du dehors. Tous les gouvernements depuis l’ont imité plus ou moins.

Arrivait-il au-dedans, parmi les hauts fonctionnaires, une faute grave quelconque, « aussitôt, disait l’Empereur, trois conseillers d’État établissaient une enquête ; ils me faisaient un rapport, affirmaient les faits, discutaient les principes ; moi, je n’avais plus qu’à écrire au bas : Envoyé pour faire exécuter les lois de la république ou de l’empire, et mon ministère était fini, le résultat public obtenu, l’opinion faisait justice. C’était là le plus redoutable et le plus terrible de mes tribunaux. S’agissait-il, au-dehors, de quelques grandes combinaisons politiques ou de quelques points délicats de diplomatie, les objets étaient indirectement jetés dans le Moniteur ; ils attiraient aussitôt l’attention universelle, occupaient toutes les discussions, c’était le mot d’ordre pour les partisans du gouvernement, en même temps qu’un appel à l’opinion pour tous. On a accusé le Moniteur pour ses notes tranchantes, trop virulentes contre l’ennemi ; mais, avant de les condamner, il faudrait mettre en ligne de compte le bien qu’elles peuvent avoir produit ; l’inquiétude parfois dont elles torturaient l’ennemi ; la terreur dont elles frappaient un cabinet incertain ; le coup de fouet qu’elles donnaient à ceux qui marchaient avec nous ; la confiance et l’audace qu’elles inspiraient à nos soldats, etc., etc. »

La conversation est tombée de là sur la liberté de la presse. L’Empereur a conclu qu’il était des institutions sur lesquelles on n’était plus appelé à décider si elles étaient bonnes, mais seulement s’il était possible de les refuser au torrent de l’opinion. Or, il prononçait que son interdiction, dans un gouvernement représentatif, était un anachronisme choquant, une véritable folie. Aussi, à son retour de l’île d’Elbe, avait-il abandonné la presse à tous ses excès, et il pensait bien qu’ils n’avaient été pour rien dans sa chute nouvelle. Quand on voulut discuter au Conseil, devant lui, les moyens d’en mettre l’autorité à l’abri : « Messieurs, avait-il dit plaisamment, c’est apparemment pour vous autres que vous voulez défendre ou gêner cette liberté ; car, pour moi, désormais je demeure étranger à tout cela. La presse s’est