Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/71

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

En général tous ces jeunes gens, qui étaient en assez grand nombre à bord, portaient à l’Empereur un respect et une attention tout à fait marqués. Ils répétaient tous les soirs une scène qui imprimait chaque fois quelque chose de touchant : tous les matelots, de grand matin, portent leurs hamacs dans de grands filets sur les côtés du vaisseau ; le soir, vers les six heures, ils les enlèvent à un coup de sifflet ; les plus lents sont punis ; il y a donc une véritable précipitation : or il y avait plaisir, en cet instant, à voir cinq ou six de ces enfants faire cercle autour de l’Empereur, soit qu’il fût au milieu du pont, ou sur son canon de prédilection ; d’un côté ils suivaient d’un œil inquiet ses mouvements ; de l’autre, ils arrêtaient, dirigeaient ou repoussaient, du geste et de la voix, les matelots empressés. Toutes les fois que l’Empereur me voyait considérer ce mouvement, il observait avec complaisance que le cœur des enfants était toujours le plus disposé à l’enthousiasme.

Je vais continuer ce que divers moments m’ont fourni sur les premières années de l’Empereur.

Napoléon est né le 15 août 1769[1], jour de l’Assomption, vers midi. Sa mère, femme forte au moral et au physique, qui avait fait la guerre grosse de lui, voulut aller à la messe à cause de la solennité du jour ; elle fut obligée de revenir en toute hâte, ne put atteindre sa chambre à coucher, et déposa son enfant sur un de ces vieux tapis antiques à grandes figures, de ces héros de la fable ou de l’Iliade peut-être : c’était Napoléon.

Napoléon, dans sa toute petite enfance, était turbulent, adroit, vif, preste à l’extrême ; il avait, dit-il, sur Joseph, son aîné, un ascendant des plus complets. Celui-ci était battu, mordu ; des plaintes étaient déjà portées à la mère, la mère grondait, que le pauvre Joseph n’avait pas encore eu le temps d’ouvrir la bouche.

Napoléon arriva à l’école militaire de Brienne à l’âge d’environ dix ans. Son nom, que son accent corse lui faisait prononcer à peu près Napoilloné,

  1. Extrait du registre des baptêmes de la paroisse et cathédrale de Notre-Dame d’Ajaccio, coté et paraphé le 27 avril 1771 par M. François Cuneo, conseiller du roi, juge royal de la province d’Ajaccio (5e feuillet verso).
    L’an mil sept cent soixante-et-onze, le vingt-et-un juillet, ont été faites les saintes cérémonies et les prières sur Napoléon, fils né du légitime mariage de M. Charles (fils de Joseph Bonaparte), et de la dame Marie Lætitia, son épouse, lequel avait été ondoyé à la maison, avec la permission du très révérend Lucien Bonaparte, étant né le 15 août mil sept cent soixante-neuf. Ont assisté aux saintes cérémonies, pour parrain, l’illustrissime Laurent Giubica de Calvi, procureur du roi, et pour marraine, la dame Gertrude, épouse du sieur Nicolas Paravicini ; présent le père ; lesquels ont signé avec moi.
    Cet extrait a été pris à Ajaccio, en 1822, par Édouard Favand d’Alais, et offert à M. le comte de Las Cases, le 6 septembre 1824, par son oncle, le colonel Boyer Peyreleau.