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contre les directeurs. Elle devait se diviser à l’infini sitôt qu’ils seraient renversés.

« Le choix de trois nouveaux directeurs venant à mettre au grand jour la véritable intention des mesures de la contre-révolution, l’immensité des citoyens, dans son effroi, allait se précipiter vers Napoléon déployant l’oriflamme nationale ; car les vrais contre-révolutionnaires étaient, au fait, en petit nombre, et leurs prétentions trop ridicules et trop absurdes. Tout eût plié devant Napoléon, l’eût-on appelé César ou Cromwell. Il marchait avec une religion, un parti dont les idées étaient fixes et populaires ; il était maître de ses soldats ; les caisses de l’armée étaient pleines ; il possédait tous les autres moyens propres à s’assurer leur constance et leur fidélité ; et il s’agissait de dire si Napoléon, dans le secret de son cœur, n’aurait pas désiré que les affaires eussent pris cette tournure. Nous penserions que oui. Que le triomphe de la majorité des Conseils fût son désir et son espérance, nous sommes portés à le croire par le fait suivant : c’est que, dans le moment de la crise entre les deux factions, un arrêté secret, signé des trois membres composant le parti du Directoire, lui demanda trois millions pour soutenir l’attaque des Conseils, et que Napoléon, sous divers prétextes, ne les envoya pas, quoique cela lui fût facile ; et l’on sait qu’il n’est pas dans son caractère d’hésiter pour des mesures d’argent.

« Aussi, quand la lutte fut finie, et que le Directoire triomphant se plut à déclarer tout haut qu’il devait toute son existence à Napoléon, il conserva néanmoins dans le cœur quelques sentiments vagues que Napoléon n’avait embrassé son parti que dans l’espoir de le voir culbuté et de se mettre à sa place.

« Quoi qu’il en soit, après le 18 fructidor, l’ivresse de l’armée fut au comble et le triomphe de Napoléon complet. Mais le Directoire, malgré sa reconnaissance apparente, l’entoura, dès ce moment, de nombreux agents qui épièrent ses pas et cherchèrent à pénétrer ses pensées.

« La position de Napoléon était délicate, quoique sa conduite eût été si régulière et si parfaite, qu’encore, même à présent, nous n’entretenons que de simples conjectures sur cet objet ; seulement c’est dans cette délicatesse de position que nous croyons trouver les principales raisons de la conclusion de la paix à Campo-Formio, du refus de demeurer au congrès le Rastadt, et enfin de l’entreprise de l’expédition d’Égypte.

« Comme il arrive toujours en France, aussitôt après le 18 fructi-