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eût pu avoir des suites si importantes, si elle eût été soutenue, ainsi que cela avait été décidé ; et enfin un grand nombre d’autres.


Romans de l’Empereur – Napoléon peu connu de sa maison même – Ses idées religieuses.


Vendredi 7, samedi 8.

Dans une longue conversation privée du matin, l’Empereur aujourd’hui revenait sur toutes les horreurs de notre situation présente, et épuisait les chances d’un meilleur avenir.

À la suite de tous ces objets, que je ne puis rendre ici, s’abandonnant à son imagination, il disait qu’il n’y avait plus pour lui de séjour que l’Angleterre et l’Amérique. Celui de son inclination, disait-il, serait l’Amérique, parce qu’il y serait vraiment libre, et qu’il n’aspirait plus qu’à l’indépendance et au repos ; et il faisait alors son roman. Il se voyait près de son frère Joseph, entouré d’une petite France, etc., etc.

Toutefois la politique, remarquait-il, pouvait décider pour l’Angleterre. Il devait demeurer peut-être l’esclave des évènements. Il se devait, après tout, à un peuple qui avait fait plus pour lui qu’il ne lui avait rendu lui-même à son tour, etc. Et alors il faisait encore son roman, etc., etc.

De là, la conversation allant toujours, l’Empereur ne revenait pas de s’être convaincu que beaucoup de ceux qui l’entouraient et qui formaient sa cour croyaient la plupart des absurdités et des balivernes qui avaient été débitées sur son compte, et allaient jusqu’à douter de la fausseté des horreurs dont on souillait son caractère. Qu’ainsi nous le croyions cuirassé au milieu de nous, soumis aux pressentiments et au fatalisme, sujet à des accès de rage ou d’épilepsie ; ayant étranglé Pichegru, fait couper le cou à un petit capitaine anglais, etc… Et sa sortie contre nous était en quelque sorte méritée, nous étions obligés d’en convenir ; seulement nous avions à répondre que bien des circonstances se réunissaient pour que le gros de son entourage d’alors demeurât encore le vulgaire. Nous apercevions souvent sa personne, disais-je ; mais nous n’avions jamais aucune communication avec lui : tout demeurait mystère pour nous. Aucune voix ne s’élevait pour réfuter, tandis qu’il en était une foule dans l’ombre, et quelques-unes des plus rapprochées de lui, qui, par travers d’esprit ou mauvaise intention, ne semblaient occupées qu’à insinuer sans cesse. Quant à moi, je confessais de bonne foi n’avoir eu d’idée certaine de son caractère qu’ici, bien que j’eusse à me féliciter de l’avoir réellement en partie deviné. « Et pourtant,