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trait fort adroit, très fécond dans ses preuves : « La femme, disait-il, est donnée à l’homme pour qu’elle fasse des enfants. Or, une femme unique ne pourrait suffire à l’homme pour cet objet ; elle ne peut être sa femme quand elle est grosse, elle ne peut être sa femme quand elle nourrit, elle ne peut être sa femme quand elle est malade, elle cesse d’être sa femme quand elle ne peut plus lui donner d’enfants : l’homme, que la nature n’arrête ni par l’âge ni par aucun de ces inconvénients, doit donc avoir plusieurs femmes, etc.

« Et de quoi vous plaindriez-vous après tout, Mesdames ? continuait-il en souriant ; ne vous avons-nous pas reconnu une âme ? vous savez qu’il est des philosophes qui ont balancé. Vous prétendriez à l’égalité ? Mais c’est folie : la femme est notre propriété, nous ne sommes pas la sienne ; car elle nous donne des enfants, et l’homme ne lui en donne pas. Elle est donc sa propriété comme l’arbre à fruit est celle du jardinier. Si l’homme fait une infidélité à sa femme, qu’il lui en fasse l’aveu, s’en repente, il n’en demeure plus de traces ; la femme se fâche, pardonne, ou se raccommode, et encore y gagne-t-elle parfois. Il ne saurait en être ainsi de l’infidélité de la femme : elle aurait beau l’avouer, s’en repentir ; qui garantit qu’il n’en demeurera rien ? Le mal est irréparable ; aussi ne doit-elle, ne peut-elle jamais en convenir. Il n’y a donc, Mesdames, et vous devez l’avouer, que le manque de jugement, les idées communes et le défaut d’éducation qui puissent porter une femme à se croire en tout l’égale de son mari : du reste, rien de déshonorant dans la différence ; chacun a ses propriétés et ses obligations : vos propriétés, Mesdames, sont la beauté, les grâces, la séduction ; vos obligations, la dépendance et la soumission, etc., etc. »

Après le dîner, l’Empereur a envoyé mon fils chercher les Mémoires du chevalier de Grammont et un volume du Théâtre de Voltaire. Se créant, disait-il, la tâche d’atteindre onze heures, il a lu assez longtemps du premier ouvrage, remarquant combien peu de chose peut amuser quand on y répand du véritable esprit. Quant à Voltaire, il a parcouru Mahomet, Sémiramis et autres, en faisant ressortir les vices, et concluant comme de coutume que Voltaire n’a connu ni les choses, ni les hommes, ni les grandes passions.


Reprise des Mémoires de l’Empereur, etc..


Mardi 4.

L’Empereur m’a fait appeler vers les quatre heures pour aller en calèche. Il m’a dit qu’il venait enfin de dicter de nouveau, et que cela n’était pas sans quelque mérite ; qu’il avait été toute la matinée d’une