Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/679

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

numéraire, sans compter tout ce que les individus pouvaient en avoir rapporté pour leur propre compte.

L’Empereur disait avoir été vivement sensible à ce qu’en 1814 M. de La Bouillerie, se trouvant à Orléans avec des dizaines de millions à lui Napoléon, sa propriété personnelle, il les eût portés à M. le comte d’Artois, à Paris, au lieu de les conduire à Fontainebleau, comme cela était de son devoir et de sa conscience. « La Bouillerie pourtant n’était pas un méchant homme, disait l’Empereur, je l’avais aimé et estimé. Au retour de 1815, il sollicita vivement d’être admis près de moi et de pouvoir se justifier ; il aurait prouvé sans doute que c’était la faute de son ignorance et non de son cœur. Il me connaissait bien ; il savait que s’il arrivait jusqu’à moi, il en serait quitte pour quelques paroles de colère. Mais je me connaissais aussi : j’étais résolu de ne pas le reprendre ; je refusai de le voir. C’était le seul moyen que j’avais en cette occasion de résister à lui et à plusieurs autres.

Toutefois Estève, son prédécesseur, n’en eût pas fait autant ; il m’était chaudement attaché ; il m’eût conduit mon trésor par force à Fontainebleau. S’il ne l’eût pu, il l’eût enterré, jeté dans les rivières, distribué plutôt que de le livrer. »


Sur les femmes, etc. – La polygamie.


Lundi 3.

L’Empereur, après un bain de trois heures, est sorti vers le cinq heures pour se promener dans le jardin. Il était fort triste, silencieux ; il avait l’air souffrant. Nous sommes montés en calèche, et peu à peu il s’est remis et est devenu plus causant.

Au retour, il s’est promené encore quelque temps pour faire la guerre à l’une de ces dames qui étaient avec nous. Il s’est amusé à déclamer contre les femmes. « Nous n’y entendions rien, nous autres peuples d’Occident, disait-il (et un clignotement de côté nous prévenait de sa malice) ; nous avions tout gâté en traitant les femmes trop bien. Nous les avions portées, à grand tort, presque à l’égal de nous. Les peuples de l’Orient avaient bien plus d’esprit et de justesse, ils les avaient déclarées la véritable propriété de l’homme ; et en effet la nature les avait faites nos esclaves ; ce n’est que par nos travers d’esprit qu’elles osent prétendre à être nos souveraines ; elles abusaient de quelques avantages pour nous séduire et nous gouverner. Pour une qui nous inspirait quelque chose de bien, il en était cent qui nous faisaient faire des sottises. » Et, continuant d’applaudir aux maximes de l’Orient, il approuvait fort la polygamie, la prétendait dans la nature, et se mon-