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Irlande et en Égypte. Il offrit alors de laisser au moins Kléber ou Desaix, qui brûlaient d’être de l’expédition. Leur grand caractère et leurs talents supérieurs pouvaient au besoin être en France d’une grande utilité ; mais on refusa Kléber, que Rewbel détestait, et Desaix, qu’on n’appréciait pas. La république, répondit-on, n’en était pas à ces deux généraux près : il s’en trouverait une foule pour faire triompher la patrie, si jamais elle était en danger.

VII. L’intérieur de la république est menacé d’une crise. — Le Directoire était sur un abîme, mais il ne le croyait pas. Les affaires allaient mal aussi dans l’intérieur. Le Directoire avait abusé de sa victoire de fructidor. Il avait eu le tort de ne pas rallier à la république tout ce qui, n’ayant pas fait partie de la faction de l’étranger, n’avait été que séduit ou égaré. Il était privé par là de l’assistance et des talents d’un grand nombre d’individus qui, par ressentiment, se jetaient dans le parti opposé à la république, bien que leurs intérêts et leurs opinions les portassent naturellement vers ce gouvernement. Il se trouvait contraint d’employer des hommes sans moralité. De là le mécontentement de l’opinion publique, et la nécessité de maintenir un grand nombre de troupes au-dedans, pour s’assurer des élections et contenir la Vendée.

Il était facile de prévoir que les nouvelles élections amèneraient une crise, que le nouveau tiers de législateurs serait composé d’hommes exagérés qui accroîtraient la source des maux qui pesaient sur la patrie. Le Directoire n’avait aucune politique intérieure ; il marchait au jour le jour, entraîné par le caractère individuel des directeurs, ou par la nature vicieuse d’un gouvernement de cinq personnes. Il ne prévoyait rien et n’apercevait de difficulté que quand il était matériellement arrêté. Quand on leur disait : Comment ferez-vous aux élections prochaines ? – Nous y pourvoirons par une loi, répondit La Reveillère. La suite a fait voir de quelle nature était la loi méditée par le Directoire. Quand on leur disait : Pourquoi ne relevez-vous pas tous les amis de la république qui n’ont été que menés et trompés en fructidor par le parti de l’étranger ? Pourquoi ne pas rappeler Carnot, Portalis, Dumolard, Barbé-Marbois, etc., etc., afin de faire un faisceau contre le parti de l’étranger et les exagérés ? Mais les directeurs attachaient peu de prix à ces observations : ils se croyaient populaires et assis sur un terrain solide et ferme. Un parti composé des députés ayant influence dans les deux Conseils, des fructidoriens patriotes qui cherchaient un protecteur, des généraux les plus influents et les plus éclairés, pressèrent longtemps le général d’Italie de faire un mouvement et de se mettre à la tête de la république ; il