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et l’ambassadeur français Joseph, frère du général, se retira à Florence.

Napoléon, consulté, répondit par son adage accoutumé, que ce n’était point à un incident à gouverner la politique, mais bien à la politique à gouverner les incidents ; que, quelque tort qu’eût cette inepte cour de Rome, le parti à prendre vis-à-vis d’elle demeurait toujours une fort grande question. Qu’il fallait la corriger, mais non pas la détruire ; qu’en renversant le pape et révolutionnant Rome, on aurait infailliblement la guerre avec Naples, ce qu’il fallait, sur toutes choses, éviter. Qu’il fallait ordonner à notre ambassadeur de retourner à Rome demander un exemple des coupables ; exiger qu’une ambassade extraordinaire vînt faire des excuses au Luxembourg ; faire sortir Provera, mettre à la tête des affaires les prélats les plus modérés, et forcer le pape à conclure un concordat avec la république cisalpine, afin que, par toutes ces mesures réunies, Rome tranquille ne pût plus avoir part aux affaires ; que ce concordat avec la Cisalpine aurait de plus l’avantage de préparer de loin les esprits en France à une pareille mesure. Mais La Reveillère, entouré de ses théophilanthropes, fit décider qu’on marcherait contre le pape. Le temps était venu, disait-il, de faire disparaître cette idole. Le mot d’ailleurs de république romaine suffisait pour transporter toutes les imaginations ardentes de la révolution. Le général français avait été trop circonspect dans le temps ; et si on avait des querelles aujourd’hui avec le pape, c’était uniquement sa faute ; mais peut-être avait-il ses vues particulières. En effet, ses formes civiles, ses ménagements vis-à-vis du pape, sa généreuse compassion pour des prêtres déportés, avaient, dans le temps, fortement frappé les esprits en France.

Quant à la crainte que la révolution de Rome n’entraînât la guerre avec Naples, on la traita de subtilité. Nous avions nous-mêmes un parti nombreux à Naples ; et nous ne devions rien craindre d’une puissance du troisième ordre. Berthier reçut donc l’ordre d’aller avec une armée saisir Rome et y établir la république romaine ; ce qui fut exécuté. On établit à Rome trois consuls pour exercer le pouvoir, un sénat et un tribunal composèrent la législature. Quatorze cardinaux se rendirent à la basilique de Saint-Pierre, et chantèrent un Te Deum en commémoration du rétablissement de la république romaine, qui n’était rien moins que l’abolition de l’autorité temporelle du pape. Mais le peuple, enivré un moment de l’idée de l’indépendance, entraîna la plus grande partie du clergé. Cependant la main qui avait jusque-là retenu les officiers et les administrations de l’armée n’y était plus : on se livra dans