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république à la vue des grandes humiliations de notre implacable ennemi fut beaucoup diminuée, aux yeux de plusieurs, par la crainte de voir Napoléon acquérir une nouvelle gloire en entrant triomphant dans Vienne, et réunir alors sous son commandement toutes les forces de la république. Qui pourra, se disaient-ils, sauver la liberté publique de l’influence d’un caractère et d’une gloire si extraordinaires ? Si les armées du Rhin ont été battues l’an passé, elles ne devront leur succès cette année qu’à Napoléon, qui aura tourné à lui seul toute l’Allemagne et les devancera de quinze à vingt jours dans Vienne. Ces armées d’ailleurs, participant déjà à la gloire de l’armée d’Italie par les deux divisions qui ont été envoyées, partageront aussi son enthousiasme pour le jeune héros : il les maîtrisera toutes. Beaucoup de raisons faisaient donc désirer que Napoléon fût empêché d’entrer dans Vienne ; que non seulement les trois armées demeurassent séparées, mais qu’encore on alimentât entre elles une certaine jalousie. Il parut que ces idées influèrent d’abord sur la décision du Directoire ; mais dès que les nouvelles des brillants succès de l’armée d’Italie et son entrée en Allemagne eurent atteint les armées du Rhin par la voie des papiers publics et les relations de l’ennemi, alors elles s’indignèrent elles-mêmes de leur oisiveté, et demandèrent à grands cris si l’armée d’Italie devait tout faire. À ce mouvement se joignit le sentiment du grand nombre de familles qui avaient leurs enfants à l’armée d’Italie, et l’opinion de la généralité des citoyens, animés de sentiments nobles et purs, qui ne pouvaient rien comprendre à l’inaction des autres armées. L’impulsion fut si violente que ces armées du Rhin, de Sambre-et-Meuse durent alors passer le fleuve et marcher en Allemagne. On retira le commandement de l’armée de Sambre-et-Meuse à Beurnonville, homme nul, sans talent civil ou militaire, et on le confia à Hoche, jeune général du plus grand mérite. Son patriotisme ardent, joint à une extrême activité, à une ambition désordonnée, au soin qu’il prenait de se concilier les officiers et de se créer un grand nombre de partisans, faisait espérer que, placé à la tête de l’armée la plus nombreuse, et secondé de toute l’influence du gouvernement, il serait aisément un rival propre à partager l’opinion des soldats et des citoyens, et garantir ainsi la république, quelles que fussent d’ailleurs l’amitié, l’estime, l’espèce d’enthousiasme même que Hoche n’eût cessé de témoigner en toute occasion pour Napoléon.

Ces réflexions étaient faites publiquement dans les sociétés de Paris, et ne pouvaient manquer de revenir à Napoléon qui, au sommet des grandeurs et de la gloire, ne se trouvait donc environné que de préci-