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se trouva chez l’évêque même. On était alors dans la semaine sainte : toutes les cérémonies religieuses de cette semaine et celles de Pâques se firent avec la plus grande solennité au milieu de l’armée française. Cette armée, accoutumée au respect pour le culte et les religions du pays où elle se trouvait, en agit ici comme auraient agi les troupes autrichiennes : ce qui satisfit au dernier degré le peuple et le clergé.

Les préliminaires avaient été signés à Léoben le 18, et le 20 le général français reçut de nouvelles dépêches du Directoire, annonçant que les armées du Rhin se mettaient en mouvement, qu’elles allaient passer le Rhin, et qu’elles seraient bientôt au cœur de l’Allemagne. Effectivement, quelques jours après on apprit que l’armée de Sambre-et-Meuse, sous le commandement de Hoche, avait passé le Rhin le 19, veille du jour même de la signature des préliminaires de Léoben, mais quarante jours après l’ouverture de la campagne en Italie. L’adjudant général Dessolles, qui portait, les préliminaires à Paris, rencontra nos troupes aux prises avec celles de l’ennemi. Il est difficile d’expliquer la cause de ce changement subit dans le système du gouvernement. Si Napoléon eût appris le 17, au lieu du 20, les nouvelles intentions du Directoire, il est certain que les préliminaires n’auraient pas été signés, ou qu’on eût exigé de bien meilleures conditions ; toutefois celles qu’on obtint dépassèrent encore de beaucoup les espérances du Directoire. Dans ses instructions au général français, on l’avait autorisé à conclure la paix toutes les fois que les frontières constitutionnelles de la république seraient reconnues. Il est vrai qu’en donnant ces instructions, le Directoire avait été loin de deviner les succès et l’ascendant de cette armée, et n’avait pu prévoir ainsi tout ce qu’il pourrait exiger.

X. Parmi les diverses causes auxquelles on attribua l’étrange conduite du Directoire dans cette occasion, beaucoup ont pensé que bien des personnes en France voyaient avec quelque jalousie la grande renommée de Napoléon ; sa marche hardie et décidée leur inspirait des craintes sur les projets ultérieurs que pourrait nourrir son ambition. La proclamation par laquelle il avait protégé en Italie les prêtres déportés, et qui lui avait gagné beaucoup de partisans en France, son style respectueux envers le pape, son refus de détruire le saint-siège, ses ménagements pour le roi de Sardaigne et pour les aristocrates de Gênes et de Venise ; tout cela avait fait de grandes impressions, et se trouvait commenté souvent avec des intentions fort malignes. Lorsqu’on vit la victoire du Tagliamento et les succès qui suivirent, les Alpes Noriques passées, et l’Allemagne envahie par cette route inconnue, la joie de la