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L’Empereur convenait qu’elle avait été extrême, surtout celle causée par la mort du duc d’Enghien, sur laquelle même encore aujourd’hui en Europe on semblait, disait-il, juger aveuglément et avec passion. Il énumérait de nouveau son droit et ses raisons ; il a fait passer en revue les nombreuses tentatives pratiquées sur sa personne. Il remarquait que pourtant il devait à la justice de dire qu’il n’avait jamais trouvé Louis XVIII dans une conspiration directe contre sa vie ; ce qui avait été, l’on pouvait dire, permanent chez M. le comte d’Artois. Il n’avait jamais connu de Louis XVIII que des plans systématiques, des opérations idéales, etc., etc…

« Si je fusse demeuré en 1815, a-t-il continué, j’allais produire au grand jour quelques-uns des derniers attentats. L’affaire Maubreuil surtout eût été solennellement instruite par la première Cour de l’empire, et l’Europe eût frémi d’horreur en voyant jusqu’où pouvait remonter la honte de l’assassinat et du guet-apens. »


Politique – Angleterre – Lettres retenues par le gouverneur – Paroles caractéristiques.


Vendredi 31.

À cinq heures, j’ai été joindre l’Empereur dans le jardin ; nous y étions tous réunis. Il était sur la politique, il peignait la triste situation de l’Angleterre au milieu de ses triomphes ; le gouffre de sa dette, la folie, le besoin, l’impossibilité pour elle d’être un pouvoir continental, les dangers de sa constitution, les véritables embarras des ministres, la juste clameur de tous. L’Angleterre, avec ses cent cinquante ou deux cent mille soldats, faisant autant d’efforts que lui en avait jamais fait à l’époque de sa grande puissance, elle faisait peut-être davantage. Jamais il n’avait eu plus de cinq cent mille Français au complet. Les traces de son système continental étaient suivies maintenant par toutes les puissances du continent : elles le seraient plus à mesure qu’elles s’assiéraient davantage. Il n’hésitait pas à dire, et il le prouvait, que, malgré les évènements du jour, l’Angleterre eût gagné à demeurer fidèle au traité d’Amiens ; que l’Europe entière y eût gagné ; que lui seul Napoléon et sa gloire y eussent perdu, et que c’était l’Angleterre pourtant, et non pas lui, qui l’avait rompu.

Il n’était plus qu’un système pour l’Angleterre, continuait-il, celui de revenir à sa constitution, d’abandonner le système militaire, de ne plus se mêler du continent que par l’influence de la mer, sur laquelle elle régnait seule aujourd’hui. Si elle prenait toute autre marché, on pouvait lui prédire de grands malheurs ; et elle la prendrait inévitablement cette