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camarade, qui conduisait le cabriolet où ils étaient ensemble l’un et l’autre.

Quant à Pichegru, il fut victime de la plus infâme trahison. « C’est vraiment, disait l’Empereur, la dégradation de l’humanité ; il fut vendu par son ami intime, cet homme, disait l’Empereur, que je ne veux pas nommer, tant son acte est hideux et dégoûtant. » Et ici nous lui apprîmes que ce nom était dans le Moniteur, ce qui l’étonna. « Cet homme, continua-t-il, ancien militaire, et qui depuis a fait le négoce à Lyon, vint offrir de le livrer pour cent mille écus. Il raconta qu’ils avaient soupé la veille ensemble, et que Pichegru, se lisant chaque matin dans le Moniteur, et sentant approcher sa destinée, lui avait dit : Mais si moi et quelques généraux nous allions résolûment nous présenter au front des troupes, ne les enlèverions-nous pas ? – Non, lui dit son ami, vous ne vous doutez pas de la France ; vous n’auriez pas un seul soldat, et il disait vrai. La nuit venue, l’infidèle ami conduisît les agents de police à la porte de Pichegru, leur détailla les formes de la chambre, ses moyens de défense. Pichegru avait des pistolets sur sa table de nuit, la lumière était allumée, il dormait ; on ouvrit doucement la porte avec de fausses clefs que l’ami avait fait faire exprès. On renversa la table de nuit, la lumière s’éteignit, et l’on