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querelles quand le moment de payer ses dettes arrivait. On l’a vue souvent alors envoyer chez ses marchands leur dire de n’en déclarer que la moitié. Il n’est pas jusqu’à l’île d’Elbe où des mémoires de Joséphine ne soient venus fondre sur moi de toutes les parties de l’Italie. »

Quelqu’un qui avait connu l’impératrice Joséphine à la Martinique, a répété à l’Empereur beaucoup de particularités de sa jeunesse et de sa famille. Il est très vrai qu’on lui avait prédit plusieurs fois, dans son enfance, qu’elle porterait une couronne. Et une autre circonstance non moins remarquable ni moins bizarre serait que la sainte ampoule, qui servait à sacrer nos rois, eût été brisée, ainsi que quelques-uns l’ont prétendu, précisément par son premier mari, le général Beauharnais, qui, dans un moment de défaveur populaire, aurait espéré, par cet acte, se remettre en crédit.

On a dit, on a écrit mille bruits absurdes sur le mariage de Napoléon et de Joséphine. On trouvera dans les campagnes d’Italie la véritable et première cause de leur connaissance et de leur union. C’est par Eugène, encore enfant, qu’elle se fit. Après vendémiaire, il alla demander l’épée de son père au général en chef de l’armée de l’intérieur (le général Bonaparte) ; l’aide de camp Lemarrois introduisit ce jeune enfant, qui, en revoyant l’épée de son père, se mit à pleurer. Le général en chef fut touché de ce sentiment, et le combla de caresses. Sur le récit qu’Eugène fit à sa mère de l’accueil qu’il avait reçu du jeune général, elle accourut lui faire visite et le remercier. « On sait, disait l’Empereur, qu’elle croyait aux pressentiments, aux sorciers ; on lui avait prédit dans son enfance qu’elle ferait une grande fortune, qu’elle serait souveraine. On connaît d’ailleurs toute sa finesse ; aussi me répétait-elle souvent depuis qu’aux premiers récits d’Eugène le cœur lui avait battu, et qu’elle avait entrevu dès cet instant une lueur de sa destinée, l’accomplissement des prédictions ; etc., etc.

« Une autre nuance caractéristique de Joséphine, disait l’Empereur, était sa constante dénégation. Dans quelque moment que ce fût, quelque question que je lui fisse, son premier mouvement était la négative, sa première parole non ; et ce non, disait l’Empereur, n’était pas précisément un mensonge, c’était une précaution, une simple défensive ; et c’est ce qui nous distingue éminemment, disait-il à madame Bertrand, de vous autres mesdames, ce qui n’est au fond entre nous que différence de sexe et d’éducation : vous aimez, et l’on vous apprend à dire non ; nous, au contraire, nous nous faisons gloire de le dire, même