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sur les abominables traitements dont il est l’objet, sur la haine atroce qui les commande, la brutalité qui les exécute. Et après quelques instants de silence et de méditation, il lui est échappé ce qu’il me dit souvent : « Mon cher, ils me tueront ici ! c’est certain ! » Quelle horrible prophétie !…

Vendredi 17.

J’ai été fort malade toute la nuit ; l’Empereur a déjeuné dans le jardin ; il m’y a fait appeler ; il était lui-même triste et abattu ; il ne se portait pas bien du tout. Après le déjeuner, nous nous sommes promenés longtemps autour de la maison ; il ne disait mot. La chaleur l’a forcé de rentrer vers une heure. Il regrettait vivement de n’avoir point d’ombrage.

Vers quatre heures, il a envoyé savoir si je continuais d’être souffrant ; il revenait de la promenade en calèche, où je n’avais pu le suivre. J’ai été le joindre au jardin, où il était demeuré avec le grand maréchal. Il continuait d’être triste, indifférent, distrait ; il a fait raconter à Bertrand son séjour à Constantinople en 1796, son voyage à Athènes et son retour au travers de l’Albanie. Il était beaucoup question de Sélim III, de ses améliorations, du baron de Tott, etc., etc. Tout cela était fort curieux, malheureusement je ne trouve dans mon manuscrit que de simples indications que ma mémoire ne saurait m’aider à développer aujourd’hui.


Madame la maréchale Lefèvre – Traits caractéristiques.


Samedi 18.

L’Empereur a continué d’être souffrant. Au retour d’une promenade en calèche, il s’est mis au bain ; il m’a fait appeler. Il y est devenu gai ; nous avons causé avec la plus grande liberté jusqu’à huit heures et demie. Il a voulu dîner dans son cabinet, et m’a gardé. Le lieu, le tête-à-tête, l’élégance du service, la propreté de la table, me donnaient, disais-je, l’idée d’une petite bonne fortune ; il en a ri. Il m’a beaucoup questionné et m’a fait revenir sur Londres, mon émigration, nos princes, l’évêque d’Arras (de Consié), etc., etc. Il revenait lui-même sur les principales époques de son consulat ; il en donnait des détails et des anecdotes bien curieuses ; de là nous sommes passés à l’ancienne cour, à la nouvelle, etc. Beaucoup de ces choses ne seraient que des répétitions ; je crois les avoir déjà mentionnées ailleurs. D’autres qui ne sont qu’indiquées dans mon manuscrit demeureront pour jamais perdues.

Voici seulement ce que je transcris comme nouveau. Il m’est arrivé