Page:Las Cases - Mémorial de Sainte-Hélène, 1842, Tome I.djvu/589

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voir, et l’on avait eu envie de le lui montrer. Toutefois je ne pus satisfaire ce désir ; il était dans la chambre de l’Empereur : ce fut ma réponse.

L’Empereur rit du succès que l’amiral avait voulu me ménager, et moi je plaignais fort la dame sur l’espèce de divertissement qu’on avait voulu lui donner. Tout cela conduisit l’Empereur à s’arrêter lui-même sur l’Atlas, et à rappeler une partie de ce qu’il en avait déjà dit plusieurs fois. Il ne revenait pas, disait-il, d’entendre toujours et partout parler de cet ouvrage, de le voir couru des étrangers à l’égal au moins des nationaux. Il en avait entendu parler à bord du Bellérophon, à bord du Northumberland, à l’île de Sainte-Hélène ; partout, ce qu’il y avait d’instruit et de distingué le connaissait ou demandait à le connaître.

« Voilà ce que j’appelle, concluait-il gaiement, un vrai triomphe et beaucoup de bruit dans la république des lettres, etc. Je veux que vous me fassiez à fond l’historique de cet ouvrage, quand et comment il a été conçu, de quelle manière il a été exécuté ; ses résultats ; pourquoi, dans le principe, vous l’avez mis sous un nom emprunté ; pourquoi, plus tard, vous ne lui avez pas substitué le véritable, etc. ; enfin, mon cher, un vrai rapport ; entendez-vous, monsieur le conseiller d’État ? »

J’ai répondu que ce serait long, mais que ce ne serait pas sans charme pour moi : que mon Atlas était l’histoire d’une grande partie de ma vie ; que je lui devais surtout le bonheur de me trouver ici près de lui, etc…

Le 16, le gouverneur s’est présenté sur les trois heures, suivi de son secrétaire militaire. La brèche était décidée entre nous et le gouverneur depuis ce que l’on m’a vu appeler plus haut sa première méchanceté, sa première injure et sa première brutalité. L’éloignement, la mésintelligence et l’aigreur mutuels allaient toujours croissant ; nous étions fort mal disposés les uns et les autres. L’Empereur se portait assez mal ; il n’était point habillé : toutefois il m’a dit qu’il le recevrait, sa toilette faite. En effet, peu d’instants après il est passé dans son salon, et j’ai introduit sir Hudson Lowe.

Demeuré dans le salon d’attente avec le secrétaire militaire, j’ai pu entendre, par le son de la voix de l’Empereur, qu’il s’animait et que la scène était chaude. L’audience a été fort longue et très orageuse. Le gouverneur congédié, j’ai couru au jardin où l’Empereur me faisait